LA MONTÉE DU NAZISME
LES ACCORDS DE MUNICH
La paix à tout prix
La Tchécoslovaquie est rayée de la carte.
De concessions en concessions de la part des nations occidentales, d'exigences en exigences du côté allemand, on en vint après les sois-disants accords de Munich de septembre 1938 à ce que souhaitait Hitler : l'annexion déguisée de la Tchécoslovaquie.
Officiellement ce pays cessa d'exister le 15 mars 1939.
Mr Neville Chamberlain exprima son désappointement et sa consternation, mais n'alla pas pluis loin.
La France et l'Angleterre émirent chacune une protestation, Ribbentrop refusa de les recevoir.
D'ailleurs quelle importance, puisque la Tchécoslovaquie n'existait plus.
La Tchécoslovaquie. Une démocratie modèle
On ne fit rien pour venir en aide à la Tchécoslovaquie
En 1918, la Tchécoslovaquie avait été taillée tant bien que mal dans les provinces du nord de l'ancien empire austro-hongrois. Il était facile, pour ceux qui le désiraient, de se persuader qu'en 1938 la Tchécoslovaquie représentait un fait politique aussi désuet que l'avait été l'Autriche-Hongrie au début de ce siècle. C'était faux. Grâce, en effet, à l'admirable mise en valeur des ressources sociales et économiques dont ils disposaient, les Tchèques avaient, dans un laps de temps très court, construit une démocratie modèle dont la souveraineté appartenait au peuple et qui était gouvernée par un Parlement composé de deux Chambres. Un des résultats de cette organisation et de l'esprit d'entreprise du peuple tchèque apparaissait dans les structures industrielles et commerciales d'où étaient sorties des réalisations sociales qui suscitaient l'admiration de l'Europe entière.
Le noyau de la population comprenait 10 millions de Tchèques et de Slovaques, mais dans la partie ouest du pays vivaient un peu plus de 3 millions d'Allemands qui avaient reçu la nationalité tchèque au moment du tracé des nouvelles frontières. Enfin, à l'est habitaient 800 000 Magyars et 500 000 Ukrainiens, ainsi que 60 000 Polonais regroupés dans la région industrielle et minière de Teschen. Ces minorités constituaient une source latente de troubles. Hitler réclamait non seulement une revision du tracé de ses frontières orientales, en prévision d'une plus grande expansion vers l'est, mais également l'élimination de tout système de gouvernement qui pût rivaliser avec le sien.
Konrad Henlein 1898-1945
En 1934, un parti autonomiste s'était formé, au sein de la minorité allemande, sous la direction de Konrad Henlein. Il allait devenir, l'année suivante, le parti allemand des Sudètes. Deux ans plus tard, toujours sous la conduite de Henlein, et encouragé et financé ouvertement par Hitler, il réclamait le droit de former un Etat national-socialiste autonome à l'intérieur même des frontières de la Tchécoslovaquie ! Après l'Anschluss, cette requête reposa sur une force visible et une menace précise, car l'annexion de l'Autriche avait découvert tout le flanc méridional de la région des Sudètes, la rendant ainsi vulnérable à une éventuelle attaque allemande (ou à un soutien, selon le point de vue.
Churchill ne fut pas le seul, à l'époque, à prévoir le prochain objectif du programme de Hitler. Deux jours après l'occupation de l'Autriche par les Allemands, des représentants de la Russie soviétique avaient pris contact avec le gouvernement français pour étudier les mesures destinées à assurer l'indépendance de la Tchécoslovaquie. La Russie se déclarait prête à se porter à l'aide des Tchèques si la France agissait de même. Mais cette dernière tenait à savoir quelle serait la position de l'Angleterre si elle entrait en guerre. Certes, les Russes se déclaraient décidés à agir, mais les Français étaient déconcertés par cette situation. Finalement, c'est l'attitude de la Grande-Bretagne qui devait être le facteur déterminant.
Edward Frederick Edvard Beneš 1884-1948
Lindley Wood 1881-1959
Seulement, les Anglais ne souhaitaient pas se lancer dans un conflit et certainement pas pour la cause d'un pays dont la plupart d'entre eux ne connaissaient que le nom barbare et ce fut avec un grand soulagement qu'ils accueillirent les pronostics apaisants de leurs dirigeants. Ceux-ci conseillaient la prudence et la modération. Ils reflétaient ainsi le profond désir de paix de M. Chamberlain, et aussi ce que les Anglais, en général, ignoraient, les profonds sentiments religieux de lord Halifax, qui considérait la Russie comme l'Antéchrist.
On ne fit rien pour venir en aide à la Tchécoslovaquie et les avances de la Russie furent repoussées avec une rudesse dont les Britanniques n'usèrent jamais dans leurs rapports avec l'Allemagne nazie.
Pendant tout l'été de 1938, le Dr Benès, président de la Tchécoslovaquie, dut subir les insultes et les menaces d’Hitler, tandis que les services de propagande de Goebbels répandaient des histoires effroyables sur de prétendues atrocités commises par les Tchèques sur les Allemands des Sudètes. Alors, à regret, M. Chamberlain en arriva à la conclusion que le seul espoir de préserver la paix dans le monde était de satisfaire à toutes les demandes d’Hitler, c'est-à-dire d'accorder l'autonomie complète au pays des Sudètes.
C'est à peu près à cette époque que le mot apaisement devint à la mode dans le vocabulaire britannique. Cette politique d'apaisement avait alors pris un sens beaucoup plus subtil, celui de concession, d'abandon, de volonté de se tenir, à tout prix, en dehors du coup.
Herr Hitler était un gentleman
C'est un premier ministre désemparé qui regagna l'Angleterre
Au début de septembre, le premier ministre britannique avait décidé que le meilleur moyen de rétablir le calme dans un monde troublé était de rendre personnellement visite à Hitler. C'est dans cette disposition d'esprit qu'il atterrit à Munich, le 15 septembre 1938. Une nouvelle l'y attendait. Tandis qu'il volait vers l'Allemagne, Hitler avait augmenté ses prétentions. Il ne demandait plus l'autonomie pour les Sudètes ; il exigeait maintenant l'intégration de leur territoire au Grand Reich allemand. Chamberlain apprit, au cours de son entrevue avec le Führer, que rien d'autre ne pouvait donner satisfaction au maître de l'Allemagne. Mais il acquit aussi la certitude que si Hitler se montrait dur et impitoyable, il était pourtant un homme à qui on pouvait se fier quand il avait donné sa parole. A son retour, Chamberlain en donna l'assurance aux Anglais, qui furent ravis de l'entendre dire. Herr Hitler était un gentleman.
Suivit une conférence à Londres avec MM. Daladier et Bonnet, respectivement président du conseil et ministre des Affaires étrangères. Le problème n'était pas de savoir si l'on donnerait une suite à la demande d’Hitler, mais comment faire accepter cette demande au gouvernement tchèque. Ni les Français ni les Britanniques n'approuvaient l'idée d'un plébiscite qui eût permis aux habitants du pays des Sudètes de faire connaître leur désir profond ou non de s'intégrer au Reich allemand. Ils désiraient seulement la cession pure et simple de la zone contestée qui, soulignons-le, abritait la ligne dé fortifications défensives de la Tchécoslovaquie contre l'Allemagne.
Dans la matinée du 21 septembre, les représentants français et anglais à Prague avertissaient le président Benès qu'il devait se soumettre aux exigences d’Hitler et que toutes les zones de Tchécoslovaquie contenant plus de 50 % d'Allemands devaient être livrées avant que se crée une situation dans laquelle la France et l'Angleterre ne pourraient avoir aucune responsabilité. Voilà comment les grandes démocraties protégeaient leurs soeurs plus faibles.
Le 22 septembre, Chamberlain prit de nouveau l'avion pour s'entretenir avec le Führer, qui, cette fois, se rendit aimablement à sa rencontre dans un hôtel de Godesberg. Hitler écouta la déclaration de Chamberlain l'informant que la France et l'Angleterre avaient recommandé de satisfaire à ses exigences, puis, après l'avoir remercié courtoisement, il déclara : Es tut mir furchtbar leid, aber das geht nicht mehr (Je suis désolé, mais ceci ne suffit plus, maintenant). D'autres pays possédant des frontières communes avec la Tchécoslovaquie lui avaient demandé que les parties de cette dernière occupées par leurs minorités respectives leur fussent également cédées, et Hitler appuyait ces revendications. Non seulement les provinces occidentales (c'est-à-dire le pays des Sudètes) devaient être livrées à l'Allemagne, mais les provinces orientales, où vivaient des Hongrois et des Polonais, devaient être cédées à leur pays d'origine. En fait, il s'agissait d'un démembrement pur et simple de la Tchécoslovaquie.
M. Chamberlain passa les trente-six heures qui suivirent dans la contrariété, le désarroi et la honte. Il ne le cacha pas au Führer qui l'écouta le plus courtoisement du monde, mais aussi, comme on peut l'imaginer, avec un sourire quelque peu sarcastique. En tout cas, il ne montra aucune disposition à réduire ses prétentions. C'est un premier ministre désemparé qui regagna l'Angleterre, pour y constater un raidissement de l'opinion publique, attitude qui ne fit sans doute qu'accroître la déception de celui qui se considérait comme le pèlerin de la paix.
La paix à n'importe quel prix
La conférence commença dans la soirée du 29 septembre 1938
À la suite de cette soudaine poussée de méfiance envers Hitler, on décida de rejeter les conditions de Godesberg. La Tchécoslovaquie put mobiliser sans l'opposition de la France et de l'Angleterre, et la France décréta même une mobilisation partielle. Les démocraties paraissaient enfin réagir devant le danger. Le 26 septembre, Hitler reçut un message de Chamberlain auquel il répondit par un véritable ultimatum : si le 28 septembre, à 14 heures, les Tchèques n'avaient pas accepté les revendications allemandes, les troupes du Reich pénétreraient sur le territoire des Sudètes à la date précise du octobre. Cependant, dans un discours qu'il prononça trois heures plus tard, et dans lequel il s'exprima en termes violents et grossiers à l'égard de Benès et de la Tchécoslovaquie, Hitler parla en termes modérés de la France et de la Grande-Bretagne, déclarant : Ceci est la dernière réclamation territoriale que j'aie à faire en Europe.
Quoi qu'il en soit, le mercredi 28 septembre, à 14 heures, Benès n'avait toujours pas fait sa soumission à Berlin. Une armée tchèque de plus d'un million d'hommes était en place derrière une ligne puissamment fortifiée, prête à s'opposer à toute agression allemande. L'armée française était partiellement mobilisée et le gouvernement britannique avait donné l'ordre à la Royal Navy de se tenir en état d'alerte.
C'est alors qu'à 15 heures Hitler adressa un message à Chamberlain et à Daladier pour suggérer une nouvelle et immédiate entrevue. Mussolini y assisterait également, mais les représentants des Soviets en seraient exclus, de même que ceux de la Tchécoslovaquie. Pour la troisième fois, le premier ministre britannique s'envola vers l'Allemagne.
Benito Mussolini 1883-1945
À Munich, M. Chamberlain, au nom du peuple anglais et M. Daladier, au nom du peuple français, se déclarèrent prêts à payer n'importe quel prix pour la paix. La conférence commença dans la soirée du 29 septembre et le 30, à 2 heures du matin, les quatre parties apposaient leurs signatures au bas d'un mémorandum : l'ultimatum de Godesberg était pratiquement accepté. Les troupes allemandes entreraient, le 1er octobre, dans le territoire des Sudètes, dont l'évacuation devrait être terminée pour le 10 octobre. Une commission internationale déciderait, par la suite, du tracé des nouvelles frontières de la Tchécoslovaquie qui perdrait, sans aucun doute, dans l'opération, sa ligne de fortifications occidentale.
Description des protagonistes par Edouard Daladier
Hitler, le visage pâle et crispé
Vers midi, accompagné dans une voiture découverte, de François-Poncet et du maréchal Goering, vêtu d'un uniforme blanc qui accentuait ses rondeurs, j'arrivai à la Maison du Führer, sur la place royale.
Ayant François-Poncet pour guide, j'entrai dans un salon largement ouvert où je trouvai Neville Chamberlain vêtu de noir suivant sa coutume, impassible, ressemblant un peu à un vieil homme de loi anglais.
Bientôt, escorté de Ciano, grand, vigoureux et d'un cortège d'officiers et de diplomates italiens en grand apparat, couvert de galons et de décorations, apparut Mussolini.
Il était sanglé dans un bel uniforme qui me parut un peu étroit pour lui. Il pénétra d'un pas vif dans le salon, le torse bombé, ses yeux noirs très mobiles, comme passant en revue, mais rapidement détendu et souriant.
Maintenant, derrière tous ces hommes chamarrés, seul, venait Hitler, le visage pâle et crispé. Je voyais sa chevelure brune, une mèche épaisse lui tombant sur le front. Le regard était étrange et dur de ces yeux d'un bleu sombre qui se révulsèrent brusquement lors des brèves salutations.
Il était vêtu très simplement comme un homme du peuple d'une veste kaki, portant sur la manche droite l'écusson à croix gammée, son long pantalon noir tombait sur des chaussures noires assez usagées. Tel m'apparaissait l'homme qui, par la ruse, la violence et la force, était devenu dictateur suprême de l'Allemagne.
J'avais dit et répété à Londres que son but était d'établir sa domination sur l'Europe. En le voyant, je pensai ne pas m'être trompé.
Vers midi trente, le premier entretien eut lieu dans un salon rectangulaire. Hitler prit place sur un fauteuil, dans la partie gauche à partir de l'entrée. A sa droite étaient son interprète, puis Neville Chamberlain, enfin sir Horace Wilson. Au centre du salon, sur un canapé, étaient assis Mussolini et Ciano. Moi-même je me trouvais sur la partie droite, dans un fauteuil, face à Hitler.
Hitler se leva et prononça contre les Tchèques un violent réquisitoire. C'était une véritable explosion. Étendant les bras ou serrant les poings, il accusait les Tchèques d'avoir exercé contre les Allemands une affreuse tyrannie, de les avoir torturés, d'en avoir chassé des milliers de leur pays, comme des troupeaux affolés.
J'avais compris le sens de son discours, mais sa traduction ne laissait aucun doute sur la violence de son réquisitoire. Je me levais donc pour demander s'il fallait comprendre qu'Hitler proposait de détruire la Tchécoslovaquie, comme Etat, et de l'annexer au Reich. S'il en était ainsi, je n'avais qu'à regagner la France. Daladier défend les Tchèques, écrivit plus tard Ciano, dans son journal.
Mussolini s'agita sur son canapé.
Non, non, s'écriait-il, c'est un malentendu.
Et, tandis qu'il parlait, Hitler ne le quittait pas des yeux.
Ayant entendu la traduction de ces deux interventions, Hitler reprit la parole, d'un ton plus calme.
Non, je ne veux pas de Tchèques, monsieur Daladier, je ne veux que mes frères allemands. Quand vous me donneriez les Tchèques, je n'en voudrais pas.
Et il continua sur ce ton, affirmant que sa politique ne consistait qu'à rassembler tous les Allemands dans leur patrie commune.
Alors Mussolini sortit de la poche extérieure de sa vareuse une feuille de papier. C'était, disait-il un bref projet de compromis dont il donna lecture.
Bien que l'ayant compris, je demandai que l'on nous en remit le texte, afin que nous puissions l'étudier. Il en fut ainsi décidé, et la Conférence fut suspendue jusqu'à 5 h 45. Il était alors quinze heures.
Le débat reprit pour ne se terminer qu'à 2 heures du matin. La discussion fut assez confuse et parfois désordonnée, Hitler restant presque tout le temps silencieux et tel que je l'avais vu le matin à son arrivée, figé et blême.
Je fus parfois soutenu par Mussolini, fier du rôle de médiateur entre trois grandes puissances qu'il s'était assigné. Un peu avant la fin, au moment des signatures, il me dit, en souriant : Vous allez être acclamé à votre retour en France.
Je lui dis que, certes, les Français, seraient joyeux d'apprendre que la paix était sauvée, mais qu'ils auraient conscience des sacrifices qui lui avaient été consentis. Vous verrez, vous verrez.
Une voix dans le désert
Après Munich, Churchill ne se laissa pas abuser
Winston Leonard Spencer-Churchill 1874-1965
Au cours des années 30, Winston Churchill n'occupait aucun poste au gouvernement. Beaucoup pensaient qu'il avait entièrement vidé son carquois et qu'il n'était plus rien que l'enfant terrible de la politique anglaise. Bien peu avaient compris la signification des mises en garde en face de la montée d’Hitler et du national-socialisme. Plus Hitler accumulait les succès et moins la voix de Churchill trouvait audience. Même après Munich, lorsque les Anglais se réjouissaient, Churchill ne se laissa pas abuser. Au cours d'une allocution à la Chambre des communes, il proclama : Je ne reproche pas à notre loyal et généreux peuple qui était prêt à faire son devoir à quelque prix que ce fût, qui n'a jamais fléchi sous la tension de ces derniers jours je ne lui reproche pas cette explosion de joie spontanée, et toute naturelle, ce cri de soulagement qu'il a poussé en apprenant que l'épreuve si redoutée ne lui serait pas imposée pour l'instant ; mais le peuple anglais doit savoir la vérité. Il doit savoir qu'il y a eu des négligences grossières et de grandes faiblesses dans l'organisation de notre défense ; il doit savoir que nous venons d'essuyer une défaite sans avoir fait de guerre et que les conséquences de cette défaite nous accompagneront longtemps ; il doit savoir que nous avons couvert une terrible étape de notre histoire, quand l'équilibre de l'Europe a été bouleversé et ne croyez pas que ceci soit la fin. C'est seulement le début de l'expiation. C'est seulement la première gorgée, l'avant-goût de la coupe d'amertume qui nous sera offerte jour après jour, tant que nous n'aurons pas recouvré assez de santé morale et de vigueur martiale pour nous relever et reprendre, comme jadis, notre place à la pointe du combat pour la liberté.
La présence des représentants tchèques
Dans la pièce à côté
Tomáš Garrigue Masaryk 1850-1937
Chamberlain avait insisté d'abord pour qu'un représentant tchèque fût présent, ou du moins, selon son expression, qu'on pût l'avoir sous la main. Son pays, dit-il, ne pouvait, bien entendu, s'engager à donner la garantie que le territoire des Sudètes serait évacué le 10 octobre (comme l'avait proposé Mussolini) si aucune assurance à ce sujet n'était donnée par le gouvernement tchèque. Daladier le soutint mollement. Le gouvernement français, dit-il, ne tolérerait aucun retard de la part du gouvernement tchèque, mais il pensait que la présence d'un représentant tchèque, qui pourrait être consulté si nécessaire, serait profitable.
Mais Hitler ne voulut rien entendre. Il ne consentait à admettre aucun Tchèque en sa présence. Daladier céda sans difficulté, mais Chamberlain finit par obtenir une petite concession. Il fut convenu qu'un représentant tchèque pourrait se tenir à la disposition des participants dans la pièce à côté, comme le suggérait le Premier Ministre.
En effet, pendant la séance de l'après-midi, deux représentants tchèques, le docteur Vojtech Mastny, le ministre tchèque à Berlin, et le docteur Hubert Masaryk, des Affaires étrangères de Prague, arrivèrent et furent sans vergogne introduits dans une pièce voisine. Après qu'on les eut laissés s'y morfondre de quatorze à dix-neuf heures, le ciel leur tomba, pourrait-on dire, sur la tête. A dix-neuf heures, en effet, Frank Ashton-Gwatkin, qui avait appartenu à la mission Runciman et faisait maintenant partie de la suite de Chamberlain, vint leur apprendre de mauvaises nouvelles. Un accord général était intervenu, dont il ne pouvait pas encore leur donner les détails, mais qui était beaucoup plus dur que les propositions franco-britanniques. Masaryk demanda si les Tchèques ne pouvaient être entendus, mais, comme le rapporta ensuite le représentant tchèque à son gouvernement, l'Anglais lui répondit qu'il semblait ignorer combien la situation des grandes puissances était difficile et qu'il ne pouvait comprendre à quel point les négociations avec Hitler avaient été pénibles.
À dix heures du soir, les malheureux Tchèques furent conduits auprès de Sir Horace Wilson, le fidèle conseiller du Premier Ministre. Wilson leur communiqua, de la part de Chamberlain, les principaux points de l'accord des quatre puissances et, leur remit une carte des zones sudètes qui devraient être immédiatement évacuées par les Tchèques. Quand les deux envoyés tentèrent de protester, le fonctionnaire britannique leur coupa la parole. Il n'avait rien de plus à dire, déclara-t-il, et il sortit rapidement. Les Tchèques continuèrent à protester auprès d'Ashton Gwatkin, qui était resté avec eux. Mais ce fut en vain.
Si vous n'acceptez pas, leur dit-il au moment de sortir, vous serez obligés de régler vos affaires avec les Allemands absolument seuls. Peut-être les Français vous diront-ils cela moins brutalement, mais, vous pouvez m'en croire, ils partagent nos vues. Ils se désintéressent de la question.
C'était la vérité, si désolante qu'elle dut alors paraître aux deux émissaires tchèques. Le 30 septembre, peu après une heure du matin, Hitler, Chamberlain, Mussolini et Daladier, dans l'ordre que je viens d'indiquer, apposèrent leur signature sur l'accord de Munich, stipulant que l'armée allemande entrerait en Tchécoslovaquie le 1er octobre, comme Hitler l'avait toujours dit, et achèverait l'occupation des Sudètes le 10 octobre. Hitler obtenait ce qui lui avait été refusé à Godesberg.
Restait la pénible tâche pénible du moins pour les victimes d'informer les Tchèques des sacrifices qu'il leur fallait consentir et du bref délai qui leur était accordé. Cette partie dé la cérémonie ne concernait pas Hitler et Mussolini, qui se retirèrent, laissant ce soin aux représentants des alliés de la Tchécoslovaquie, la France et la Grande-Bretagne. La scène a été décrite de façon extrêmement vivante par Masaryk dans son rapport officiel aux Affaires Étrangères tchèques.
À treize heures trente, nous fûmes introduits dans la salle où s'était tenue la conférence. Étaient présents M. Chamberlain, M. Daladier, Sir Horace Wilson, M. Léger (secrétaire général au ministère des Affaires étrangères), M. Ashton-Gwatkin, le Dr Mastny et moi-même. L'atmosphère était lourde d'angoisse : la sentence allait être rendue.
Les Français, visiblement nerveux, semblaient anxieux de conserver le prestige de leur pays devant le tribunal. Dans un long discours préliminaire, M. Chamberlain fit allusion à l'accord et en remit le texte au docteur Mastny
Les Tchèques entreprirent de poser quelques questions, mais : M. Chamberlain ne cessait de bâiller, sans faire le moindre effort pour dissimuler ses bâillements. Je demandai à M M. Daladier et Léger s'ils attendaient de notre gouvernement une déclaration ou une réponse à l'accord. M. Daladier était visiblement nerveux. M. Léger répondit que les quatre hommes d'État ne disposaient que de peu de temps. Il ajouta vivement, et non sans désinvolture, qu'aucune réponse ne nous était d'ailleurs demandée, que les participants considéraient le projet comme accepté, que notre gouvernement devait envoyer son représentant à Berlin le jour même, à quinze heures au plus tard, pour assister à la séance de la commission, enfin que l'officier tchécoslovaque désigné à cet effet devrait être à Berlin samedi pour régler les détails de l'évacuation de la première zone. L'atmosphère, dit-il, commençait à devenir dangereuse pour le monde entier.
Il nous parla sur un ton fort brusque. C'était un Français. M. Chamberlain ne cachait pas sa lassitude. Ils nous remirent une seconde carte légèrement corrigée. Puis ils en finirent avec nous et nous pûmes partir.
Un état rayé de la carte
Hitler n'était plus un gentleman
Donc les délégués tchèques (à qui l'on avait permis de venir à Munich et d'attendre, dans l'antichambre, le résultat des négociations) furent froidement informés de cette décision et Hitler et Chamberlain signèrent ensemble un document qui concrétisait le profond désir de leurs deux peuples de ne jamais se faire mutuellement la guerre. Quant aux divisions allemandes, elles se préparèrent à pénétrer en Tchécoslovaquie aussi profondément que Hitler le jugerait opportun. Puis M. Chamberlain rentra en Angleterre.
Il y fut accueilli par les acclamations d'une foule enthousiaste qui l'attendait à l'aéroport et devant laquelle il brandit l'accord qu'il venait de signer avec Hitler avant de lui en lire le contenu.
M. Daladier reçut le même accueil enthousiaste des Français à sa descente d'avion. Mais la légende qui est peut-être vraie veut que le président du conseil ne réagisse pas avec la même euphorie que son homologue anglais et craignit que la foule massée à l'aéroport ne fût pas là pour l'applaudir mais pour le huer. Quand il se fut rendu compte des sentiments qui animaient ses compatriotes, il aurait eu à leur égard une épithète malsonnante.
Une vague de soulagement se propagea à travers le pays. Toute cette nuit-là, les pubs furent emplis de bandes joyeuses, de gens heureux, enfin rassurés, qui se sentaient l'esprit délivré d'un énorme souci. Le matin suivant, la presse britannique fit une plus large place au document que Chamberlain avait signé seul avec Hitler qu'à celui qu'il avait paraphé avec Hitler, Daladier et Mussolini, ce qui eut pour effet de prolonger pendant plusieurs jours ce climat d'euphorie.
Mais, peu à peu, les détails des accords sur la Tchécoslovaquie commencèrent à être connus. Le sentiment de l'impasse dans laquelle l'Angleterre venait de s'engager ainsi que la honte de la mauvaise action qui avait été commise firent progressivement leur chemin dans la conscience du peuple anglais. Le démembrement de la démocratie modèle commença sur-le-champ. Le 1er octobre, les troupes allemandes avaient envahi le territoire des Sudètes et, en moins de vingt-quatre heures, les revendications polonaises pour le retour de Teschen à la Pologne avaient été satisfaites. Les Tchèques n'eurent d'autre ressource que d'accepter. Puis, à la fin du mois, Hitler et Mussolini se mirent d'accord sur un nouveau tracé de frontière entre la Tchécoslovaquie et la Hongrie, opération qu'ils annoncèrent au monde comme étant l'a arbitrage de Vienne.
Le Dr Benès donna sa démission de président de l'État tchécoslovaque et alla résider en Angleterre. Malgré cet exil, il pouvait se considérer comme l'un des moins défavorisés parmi ses concitoyens. Durant l'hiver qui suivit 1938/1939 le démembrement de la Tchécoslovaquie s'aggrava : Hitler multipliait les causes de discorde entre les différentes nationalités qui avaient, jusque-là, vécu en bonne intelligence et élargissait le fossé entre Tchèques et Slovaques. Mais d'autres voix que celle de Hitler se faisaient maintenant entendre et les Anglais eurent rapidement mauvaise conscience de ce qu'ils avaient laissé s'accomplir. Les Allemands perdirent leur popularité et la Tchécoslovaquie se vit entourée d'une aura romantique semblable à celle de la courageuse petite Belgique, entre 1914 et 1918. De nombreux Britanniques se rendirent compte, avec amertume, que les forces à opposer éventuellement à l'Axe venaient d'être amputées d'un million de soldats bien entraînés et qu'elles perdaient l'avantage d'un système de fortifications efficace. De plus, les usines Skoda allaient maintenant produire des chars pour les dictateurs.
Le 14 mars 1939, encouragée par Hitler, la province de Slovaquie se déclara indépendante et se sépara de la Tchécoslovaquie. Le même jour, les troupes allemandes, parties de leurs bases en territoire sudète, pénétraient dans Prague, mettant ainsi la main sur la Bohême et la Moravie. Le jour suivant, avec un cynisme qui dut choquer même ceux qui avaient coopéré avec lui, Hitler acceptait le protectorat de Slovaquie, une Slovaquie dont l'indépendance n'avait finalement duré que vingt-quatre heures ! C'est ainsi qu'un État moderne fut rayé de la carte du monde pour plusieurs années.
Le 17 mars, ses yeux s'étant enfin dessillés, M. Chamberlain accusa ouvertement Hitler d'avoir manqué à sa parole. Hitler n'était plus un gentleman ; il est même probable qu'il n'en a jamais été un.
CRÉATION DU NAZISME
Hitler et les Nazis maîtres du IIIe Reich
Engelbert: Le chancelier autrichien, a interdit le partie autrichien. Le 25 juillet 1934, il est assassiné.
Herschel: Juif polonais et jeune chômeur de 17 ans, il tua le 17 novembre 1938, un membre de l'ambassade du Reich à Paris ce qui déclencha La Nuit de Cristal.
André François: Ambassadeur de France à Berlin et observateur lucide, n'a guère été entendu. Il savait qu'Hitler préparait l'invasion de la Rhénanie
8 novembre 1923 : le putsch d’Hitler échoue à Munich.
30 janvier 1933 : Hitler devient chancelier d'un gouvernement de coalition.
23 mars 1933 : le Reichstag vote les pleins pouvoirs à Hitler.
30 juin 1934 : Nuit des longs couteaux.
2 août 1934 : mort d'Hindenburg, Hitler devient Führer.
7 mars 1936 : les troupes allemandes pénètrent en Rhénanie.
12 mars 1938 : l'Allemagne envahit l'Autriche pour rétablir l'ordre. Le lendemain, l'Autriche est déclarée partie intégrante de l'Allemagne.
30 septembre 1938 : Hitler, Chamberlain, Mussolini et Daladier signent les accords de Munich.
9/10 novembre 1938 : Nuit de cristal.
Hitler et les SA défient la loi et l'Etat
Les chemises brunes s'organisent
Une compagnie d'honneur SA pour Hitler
Un jeudi matin, une compagnie d'honneur, formée d'une double haie de SA (sections d'assaut) en uniforme, est déployée devant la grande entrée du tribunal : on attend l'arrivée de Hitler. Lorsque le procureur général se présente pour pénétrer dans le bâtiment, un SA prétend lui barrer le chemin et l'orienter vers la porte de service, la grande entrée étant réservée au Fuhrer. Hitler arrive en voiture et passe en revue, d'un pas lent, les hommes de la compagnie d'honneur qui le saluent le bras tendu. En conclusion, le président du tribunal fera son éloge. Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, la scène se passe bien avant 1933, année de la prise de pouvoir nazi : elle a lieu dans la ville de Schweidnitz le 12 juin 1930, à une époque où le parti national-socialiste ne dispose encore au Reichstag, élu en 1928, que de 12 sièges (sur un total d'environ 500), et où de nombreux hommes politiques démocrates n'ont pas encore pris conscience du danger nazi.
Adolf Hitler 1889-1945
Des coups de force musclés des SA
À Schweidnitz le 27 septembre 1929 le parti social-démocrate organise une réunion dans la grande salle du restaurant populaire Volksgarten. L'orateur est député au Reichstag. Le service d'ordre est assuré par 86 hommes. Lorsque le service d'ordre arrive sur place vers 20 heures, de nombreux assistants sont déjà installés, dont 150 nationaux-socialistes qui comptent en leur sein des renforts arrivés en camions ou en voitures de toutes les villes environnantes.
Aucun signe extérieur ne permet de distinguer ces nazis des autres spectateurs, mais ils ont caché dans leurs poches le béret et le brassard des SA et beaucoup d'entre eux portent, dissimulés sous leur vêtement civil, la chemise brune avec un crochet métallique, arme redoutable, en bandoulière. Arrivés suffisamment tôt, ils ont pu occuper des positions stratégiques : la première rangée de tables au bord de l'estrade où doit parler l'orateur, le fond de la salle le long des murs, le centre des tribunes d'où on domine l'assistance, et le voisinage de la porte d'entrée. L'orateur commence son discours devant environ 800 spectateurs. Il est systématiquement interrompu, des cris et sifflements retentissent en maints endroits, les chaises servent de tambours.
La tension monte, des assistants demandent l'expulsion des perturbateurs. Finalement l'un de ceux-ci est frappé. Aussitôt est déclenchée une opération quasi-militaire, casquettes et bandoulières apparaissent immédiatement, ainsi que brassards à croix gammée et chemises brunes : les nazis venus de différents lieux peuvent ainsi se reconnaître. Tout d'abord l'estrade est prise d'assaut : l'orateur et le président de séance disparaissent au plus vite, abandonnant sur leur table montres et documents. Vient le tour des assistants, bombardés à partir de la tribune au moyen de gros verres à bière et attaqués par les SA placés au fond de la salle à l'aide de pieds de tables, de chaises, de boucles de ceinturon. La panique se déclenche, le public se presse vers l'entrée, mais celle-ci a été entre temps encombrée au moyen de chaises, et au passage les fuyards sont systématiquement frappés par un groupe de SA. En moins de dix minutes la salle est vidée. Bilan : des dizaines de blessés, dont un bon nombre de blessés graves conduits à l'hôpital. Les dégâts sont importants : 200 verres à bière, 17 chaises et 3 tables ont été détruits, ainsi que 34 vitres. En outre, 78 chaises et 35 tables ont été endommagées.
À qui profite le crime
27 février 1933, le Reichstag s'enflammait comme une torche
Ce soir du 27 février 1933
Après les élections législatives de 1933, le soir du 27 février, la salle des séances du Reichstag, le parlement allemand, s'enflammait comme une torche. Le lendemain, la police, placée sous l'autorité d'Hermann Goering présentait son suspect: un anarcho-communiste hollandais de 24 ans, le maçon Marinus van der Lubbe. Il avait été pris sur le fait et ses complices communistes étaient en fuite, affirmaient les policiers.
Dès le lendemain, prétextant la menace d'un complot communiste, Hitler imposait au président Hindenburg, un décret qui abolissait toutes les libertés fondamentales dans la République de Weimar. Dans les jours qui suivirent, des milliers d'adversaires des nazis étaient arrêtés. La presse socialiste et communiste était interdite. Gestapo et SS avaient tout pouvoir. On sait ce qu'ils en firent. L'incendie du Reichstag devint, en quelque sorte, l'acte fondateur du IIIe Reich, ouvrant toutes grandes les portes du pouvoir Hitler.
Le procès de Van Der Lubbe
Marinus van der Lubbe
Signé par van der Lubbe, le procès-verbal des interrogatoires, menés sans interprète (van der Lubbe parlait fort mal l'allemand), servit de document à charge. Le suspect y reconnaissait avoir mis le feu au Reichstag.
En moins de trois mois, le cas de Marinus van der Lubbe fut réglé. Il faut dire qu'il n'avait pas fait grand-chose pour se défendre. Et pour cause. La photo prise quatre jours après son arrestation montrait un jeune homme solide et en bonne santé. En revanche, durant tout le procès, il se comporta en automate, incapable d'énoncer une phrase, si ce n'est pour se dire coupable. Des observateurs étrangers affirmèrent alors qu'il était drogué. Déjà, lors de son arrestation dans le Reichstag, la nuit de l'incendie, il avait paru être dans un état second. Condamné à mort le 23 décembre, il fut décapité le 10 janvier 1934.
La manipulation
C'est un van der Lubbe drogué qui aurait été amené, contre sa volonté, dans le Reichstag. Errant dans les couloirs, suffoquant à cause de la fumée et ses habits prenant feu, mais sauvé des flammes, il avait reconnu tout ce que les policiers qui l'avaient arrêté voulaient lui faire avouer. En fait, il est probable que van der Lubbe avait été introduit dans le Reichstag par le portail 2, et qu'on l'avait empêché d'en sortir. Autre invraisemblance : des reconstitutions prouvèrent que ce prétendu coupable ne connaissait ni les lieux ni l'endroit où s'était déclaré le sinistre. Alors, manipulation ? Pourquoi pas.
La purge sanglante. La Nuit des longs couteaux
Nous aiguiserons nos longs couteaux sur le bord des trottoirs
Dans toute l'Allemagne, Hitler, Himmler, Heydrich, Goring ont pris leurs dispositions. Samedi 30 juin 1934, La nuit des longs couteaux commence : mais ce ne sera pas les SA qui en seront les acteurs. Ils n'en seront que les victimes.
Le piège de Munich
Ernst Röhm (ou Roehm) 1887-1934
Dans Munich, autour de la Maison Brune où de nombreux SA sont rassemblés, des SS montent la garde. Ils ont ordre de ne laisser sortir aucun SA. Déjà des voitures chargées de SS filent dans les rues : bientôt des victimes désignées tomberont sous les coups des tueurs de l'Ordre noir. À la gare, des SS envahissent les quais : il s'agit d'arrêter à leur descente du train les chefs SA qui viennent à Munich, convoqués par Röhm afin d'assister à une grande confrontation prévue depuis des mois entre les SA et leur Führer Adolf Hitler. Mais aujourd'hui la réunion n'est plus qu'un piège où va tombé tout l'état-major des SA.
Hitler révolver au poing
La pension Hanselbauer est situé un peu à l'écart, au bord du lac. Dans le silence matinal les SS bondissent, Hitler les suit, revolver au poing. Bientôt les portes sont défoncées, les SS courent dans les couloirs encore sombres, les cris gutturaux éclatent, et déjà les injures. Les chefs SA ensommeillés, menacés de mort, avancent dans les couloirs sous les coups et les hurlements dans la demi-obscurité.
L’arrestation de Röhm
Hitler et de nombreux SS sont rassemblés devant une porte : c'est la chambre de Röhm. Le Führer est là, le revolver au poing. Un policier frappe à la porte, puis le Führer lui-même se met à hurler et quand Röhm questionne, c'est lui qui répond, se précipite : il insulte, il crie à la trahison, il menace, crie à nouveau à la trahison. Röhm est torse nu, son visage est rouge, gonflé par la nuit écourtée. Il se tait d'abord, puis mal réveillé, comprenant lentement, il commence à protester. Hitler hurle, déclare qu'on lui manque de respect, et annonce qu'il met Röhm en état d'arrestation. Et il court vers d'autres chambres cependant que des SS surveillent Ernst Röhm dont la puissance vient de s'effondrer, en quelques minutes, et qui n'est plus qu'un homme corpulent qui s'habille avec difficulté sous les regards ironiques des SS.
Ils tuent, ils fusillent
Heydrich, a reçu aussitôt le mot de passe et immédiatement il le répercute sur ses hommes qui, dans les différentes villes sont dans l'attente. Les voici lâchés. Ils ont reçu leurs enveloppes cachetées et, ce matin, ils brisent les sceaux marqués de l'aigle et de la croix gammée, ils relisent les noms de leurs anciens camarades avec qui ils ont livré bataille et qu'ils sont chargés d'arrêter ou de liquider. Ils découvrent le nom de telle ou telle personnalité, aujourd'hui encore respectée, couverte de titres ou d'honneurs et qu'ils doivent conduire dans un camp ou faire disparaître dans un bois ou une région marécageuse.
À Munich, von Kahr, qui s'était opposé à Hitler, en 1923, est entraîné par des SS ; on retrouvera son corps mutilé. Le révérend père Bernhard Stempfle, qui a, jadis, corrigé Mein Kamnpf, qui connaît certains épisodes de la vie amoureuse de Hitler est, lui aussi, abattu. Kahr et Stempfle s'étaient pourtant retirés de la vie publique : mais, pour les SS, un mort inutile vaut toujours mieux qu'un adversaire oublié. Le critique musical Schmidt est ainsi abattu parce qu'on cherche un autre Schmidt. Qu'importe l'erreur. Il s'agit de liquider, de balayer toute opposition. À Berlin, Otto Strasser, l'un des fondateurs du Parti, est abattu d'une balle dans la cellule où on l'a enfermé. Laissez saigner ce porc, aurait dit Heydrich.
Röhm, dans sa cellule
Un gardien est chargé de conduire les trois officiers SS à la cellule de Röhm, toujours torse nu, semblant avoir perdu toute volonté, il regarde entrer Eicke, qui pose sur la table un revolver chargé d'une seule balle. Puis Eicke se retire. Au bout d'une dizaine de minutes, les SS Lipert et Eicke ouvrent la porte. Lippert, dont la main tremble, tire deux coups de feu ; Röhm a encore le temps de murmurer : Mein Führer ! Mein Führer, puis une nouvelle balle l'achève.
Cependant, à Berlin, les exécutions continuent. Souvent, les victimes ne comprennent pas. Karl Ernst, arrêté, alors qu'il partait en voyage de noces, mourra au cri de : Vive le Führer !
Les exécutions ne cesseront que le lundi 2 juillet 1934. Nul ne pourra donner, avec précision, le nombre des victimes : au moins une centaine, peut-être un millier. Mais il est une victime qui ignore encore son sort : et c'est. L’Allemagne elle-même qui entre dans une longue nuit de meurtres.
Le bluff d’Hitler
Hitler joue au poker et gagne
Le pessimisme des généraux
Adolf Hitler se moque bien des chiffres et des problèmes d'intendance. Il ne croit qu'à son intuition politique, à ce qu'il nomme dans ses discours la Providence et que certains baptisent son génie. Il lance au général Fritsch incrédule : Vos renseignements ne valent rien. Moi je vous dis que l'armée française n'entrera pas en campagne. Nos troupes arriveront en Rhénanie l'arme à la bretelle.
Werner Thomas Ludwig Freiherr von Fritsch 1880-1939
Et c'est alors qu'il prononce la phrase décisive : Si la France réagit, je me suiciderai ! Le Führer rompt l'entretien sur cette déclaration mélodramatique et s'enferme pour réfléchir, pendant deux jours, dans la solitude la plus totale.
Le 6 mars 1936, Adolf Hitler annonce sa décision à ses proches : Je donne l'ordre à nos troupes d'entrer dans la zone démilitarisée. Il a ce regard brillant, presque extatique, qu'ont connu ses plus vieux compagnons, ceux qui se trouvaient avec lui au soir du 8 novembre 1923, lors de cette folle nuit du putsch de Munich. Mais cette fois, Adolf Hitler semble étrangement calme. Il est certain qu'il peut gagner. Qu'il doit gagner.
Gagné ou perdu
C'est le plus grand pari de sa carrière. Jusqu'ici il n'avait lancé de défi qu'à l'Allemagne. En cette aube grise, il provoque le monde entier. Dans quelques heures, il aura gagné ou il aura perdu. La moindre intervention militaire française serait un désastre. La nouvelle Wehrmacht ne donne pas à son chef suprême le droit de se tromper. Mais pour le Führer, il ne s'agit pas de guerre. Il s'agit de bluff.
Maintenant, les troupes allemandes avancent dans la zone démilitarisée. Le colonel Gallenkamp a dressé les plans de l'opération qui réussira à la seule condition de ne se heurter à aucune opposition. Les hommes n'ont même pas perçu de cartouches.
Le bluff réussit
Trois soldats à bicyclette se présentèrent d'abord. Sous le casque d'acier, les visages étaient jeunes, les silhouettes musclées. Un murmure d'approbation monta de la foule massée sur le parvis de la cathédrale de Cologne. La rumeur s'enfla jusqu'à l'extase: l'infanterie allemande arrivait sur la place, défilant au pas de l'oie, dans un ordre impeccable.
Tant que le commandant du détachement passa ses troupes en revue, les spectateurs observèrent un silence religieux et se continrent jusqu'à ce qu'une petite fille offrît au général un bouquet d'oeillets rouges. Ce geste mit fin à la cérémonie. Criant, chantant, déferlant sur la place, la population de Cologne explosait de joie.
Cologne n'était pas la seule ville à connaître cet état de fièvre, ce samedi 7 mars 1936. Deux autres villes de la rive gauche du Rhin virent des scènes identiques au moment où les troupes allemandes franchissaient, de la rive droite, les ponts du fleuve. Pour tous les habitants de la Rhénanie, leur venue revêtait un sens parfaitement clair: Hitler remilitarisait la région et amenait l'armée allemande renaissante aux portes de l'ennemi, la France.
La reculade
En cette tragique journée du 7 mars 1936, à 18 heures, la France n'a encore trouvé qu'une réplique : la réunion d'un nouveau Conseil des ministres. Pierre-Etienne Flandin reçoit ses collègues avec un air plus funèbre que jamais. Les ministres parlent. Ils parlent beaucoup. Mais personne n'est décidé à agir, et surtout pas Albert Sarraut. Le ministre des Affaires étrangères donne le ton de ce lamentable Conseil en annonçant à la presse : La France a pris la décision de ne rien faire sans l'Angleterre, dit Pierre-Etienne Flandin, et de saisir le Conseil de la Société des Nations de la réoccupation de la Rhénanie. C'est la reculade.
Personne ne veut la guerre
Personne ne veut la guerre. Personne ne veut le risque même de la guerre. Le bluff d'Adolf Hitler a parfaitement réussi. Un seul mot d'ordre : ne rien faire.
Le Conseil se contentera de constater que l'Allemagne a violé le pacte de Locarno, mais il se gardera bien de proposer la moindre sanction. Puisque les Français n'ont pas voulu prendre l'initiative d'une riposte, aucun gouvernement étranger n'est décidé à se montrer plus royaliste que le roi.
Anschluss La croix gammée flotte sur Vienne
Le peuple autrichien approuve massivement l'annexion
Le 25 juillet 1934, à Vienne, vers midi, des hommes conduits par le SS Holzweber s'emparèrent par surprise de la Chancellerie, grâce à la complicité du chef de la police. Grièvement blessé, le chancelier Dollfuss fut déposé sur un canapé dans la salle du Congrès. En guise de soins, on le somma de démissionner : il refusa. On posa près de lui une plume et du papier et on le laissa agoniser, le harcelant pour obtenir sa signature. Il mourut à dix-huit heures, sans avoir vu ni le médecin ni le prêtre qu'il réclamait, mais sans avoir capitulé.
Pendant ce temps, les troupes loyales et la police avaient encerclé le Parlement. Dans la soirée, on apprit que Mussolini réagissait violemment à ce coup de force et mobilisait cinq divisions qui partaient se masser à la frontière du Brenner. À dix-neuf heures, les émeutiers se rendaient. La méthode brutale venait d'échouer. Hitler cédait mais la Gestapo allait pouvoir intervenir.
Intimider l'adversaire
Avant de passer à l'annexion de l'Autriche, le Führer recourut à ce qui allait devenir une de ses tactiques habituelles: l'organisation d'une entrevue destinée à malmener et à intimider l'adversaire. En février 1938, il invita donc Schuschnigg, le chancelier autrichien, à venir le rejoindre dans son nid d'aigle de Berchtesgaden. Schuschnigg ne se doutait pas de ce qui l'attendait. Comme il admirait poliment la vue magnifique qu'ils avaient sur les Alpes bavaroises, Hitler l'interrompit brutalement par ces mots: Nous ne sommes pas venus discuter du paysage ou du temps qu'il fait.
Le Führer se lança alors dans un monologue de deux heures dirigé contre Schuschnigg et son gouvernement, qui s'acheva sur un ultimatum. Seyss-Inquart, un avocat viennois profondément nazi devrait être nommé ministre de l'Intérieur et chef de la Sûreté. Les portefeuilles de la Défense et des Finances seraient attribués à des nazis. Schuschnigg fut traité par Hitler avec le plus complet dédain. Grand fumeur, il dut en outre se passer de cigarettes tout au long de l'entrevue en raison de l'aversion du Führer pour le tabac: sa résistance s'en trouva profondément affectée, et il finit par signer l'ultimatum.
Fuites, suicides et arrestations
À Vienne, la foule applaudit les vainqueurs pendant que les Israélites, connaissant les mesures prises en Allemagne contre leurs coreligionnaires, fuyaient ou se suicidaient. De nombreux membres de l'ancienne classe dirigeante autrichienne en firent autant. Le nombre des victimes ne fut jamais publié, mais il est certain qu'il atteignit plusieurs centaines. Il faut y ajouter les nombreuses personnes assassinées par les tueurs nazis pendant les trois premiers jours de l'occupation. Des centaines d'autres furent arrêtées et envoyées dans les camps de concentration, notamment le grand-duc Max et le prince Ernst von Hohenberg, fils de François-Ferdinand. Quant aux socialistes et autres opposants de gauche, ils furent arrêtés en masse. A la mi-avril, on comptait près de quatre vingt mille arrestations, à Vienne seulement.
Enfin, la Gestapo se manifesta par deux assassinats retentissants. L'un était assez inattendu. Le jour même de l'entrée des troupes en Autriche, des agents de la Gestapo enlevèrent le conseiller d'ambassade, baron von Ketteler, qui avait été le conseiller le plus intime de von Papen, alors ambassadeur d'Allemagne à Vienne. Au même moment, von Papen fut relevé définitivement de ses fonctions à Vienne. Il devait, quelque temps après, être envoyé à Ankara. Faisant montre de son habituelle lâcheté, il n'avait pas davantage protesté pour l'assassinat de Ketteler qu'il ne l'avait fait pour ceux d'Edgar Jung et de von Bose, le 30 juin.
Le second assassinat surprit moins : le général Zehner, que le président Miklas avait voulu désigner pour succéder à Schuschnigg, tomba sous les coups des tueurs noirs qui ne lui avaient pas pardonné son opposition au putsch de 1934. Le matin du 12, le major Fey, qui avait pourtant joué un rôle considérable dans le putsch manqué de 1934, se suicidait après avoir tué de ses mains sa femme et son fils.
Entrée triomphale d'Hitler. Le 13 mars, à dix-neuf heures, Hitler fit une entrée triomphale à Vienne.
Vandalisme meurtrier de la Nuit de Cristal
Le lendemain du Pogrom. Conseil de ministres allemands
Conversations nazies après la nuit de cristal
Goebbels : Dans presque toutes les villes allemandes, les synagogues ont été incendiées. On peut utiliser des manières les plus diverses les terrains sur lesquels elles se trouvaient. Certaines villes veulent en faire des jardins, d'autres veulent y construire.
Goering : Combien de synagogues ont été incendiées ?
Paul Joseph Goebbels 1897-1945
Heydrich : 101 synagogues ont été incendiées, 76 ont été démolies, 7 500 commerces ont été détruits.
Goebbels : Je suis d'avis que cela nous donne l'occasion de dissoudre les' synagogues. Toutes celles qui ne sont pas entièrement intactes doivent être démolies par les Juifs eux-mêmes. Les Juifs doivent payer ce travail. Les synagogues incendiées à Berlin seront rasées par les soins des Juifs.
De plus, j'estime nécessaire de publier une ordonnance interdisant aux Juifs de fréquenter les théâtres, les cinémas et les cirques allemands. La situation actuelle nous le permet. Les théâtres sont remplis de toute manière ; c'est à peine si on y trouve de la place. Je suis d'avis qu'il n'est pas possible de permettre aux Juifs de s'asseoir aux côtés des Allemands dans les salles. Par la suite on pourrait peut-être mettre à leur disposition un ou deux cinémas, où ils présenteraient des films juifs.
De plus, il faut qu'ils disparaissent partout de la circulation publique, car ils exercent un effet provocateur. Il est par exemple encore possible aujourd'hui qu'un Juif utilise le même compartiment de wagon-lit qu'un Allemand. Une ordonnance devrait être publiée introduisant des compartiments pour les Juifs, qui ne seraient mis à leur disposition que lorsque tous les Allemands sont assis, et sans qu'ils puissent se mélanger à eux. S'il n'y a pas assez de place, ils doivent rester debout dans le couloir.
Goebbels : Une autre ordonnance doit interdire aux Juifs la visite des villes d'eaux, plages et stations estivales allemandes. Je me demande s'il n'est pas nécessaire d'interdire aux Juifs l'accès de la forêt allemande.
Goering : Bien, nous mettrons à la disposition des Juifs une certaine partie de la forêt. On prendra soin d'y faire venir les différents animaux qui ressemblent bougrement aux Juifs, le cerf a également un nez bien crochu.
Goebbels : Ensuite, il ne faut pas que les Juifs puissent se pavaner dans les jardins allemands. À ce propos, je signale la propagande chuchotée des Juives dans les jardins du Fehrbelliner Platz. Il existe des Juifs qui n'ont pas tellement l'air juif. Ils s'assoient à côté des mères allemandes et des enfants allemands et commencent à rouspéter et à empester l'atmosphère.
Goering : Ils ne disent pas du tout qu'ils sont Juifs.
Goebbels : J'y vois un danger tout particulièrement grave. J'estime nécessaire de mettre à la disposition des Juifs certains squares sûrement pas les plus beaux et de dire : les Juifs ont le droit de s'asseoir sur ces bancs. Ceux-ci sont marqués d'une manière spéciale. Il est écrit dessus : pour les Juifs seulement ! Autrement ils n'ont rien à chercher dans les jardins allemands. Finalement il faut s'occuper de ceci : il se présente aujourd'hui encore des cas où les enfants juifs vont dans les écoles allemandes. J'estime qu'il est impossible que mon garçon soit assis à côté d'un Juif dans un lycée allemand et se voie enseigner l'histoire allemande. Il est absolument indispensable d'éloigner les Juifs des écoles allemandes, et de les laisser se charger eux-mêmes d'élever dans leurs communautés leurs enfants.
LES CRIMES DES SS
La pitié ne peut nous apporter que démoralisation (Hitler)
Criminalité dans la SS. Défense et accusation
La SS s'est rendue coupable de crimes graves
Des soldats SS intérrogent des paysans polonais sur les résistants
Les crimes militaires des SS
Le massacre d'une centaine de prisonniers au Paradis en 1940, pendant la bataille de Flandre par un élément de la SS Totenkopfdivision. Les dirigeants de la SS réussirent à étouffer le procès qu'avait entrepris la Wehrmacht.
Exécution de prisonniers soviétiques, en particulier en 1942, la Leibstandarte fusilla pendant trois jours tous les prisonniers faits sur le champ de bataille, après avoir trouvé les cadavres de six de ses hommes torturés et tués par la G.P.U.
Destructions de villages en Yougoslavie, tortures et exécutions de partisans yougoslaves par la SS division Prinz Eugen.
Assistance apportée à la police pour des opérations antijuives en Pologne et en Russie.
Participation à la liquidation du ghetto de Varsovie sous les ordres du chef de la police de Varsovie.
Répression impitoyable des populations russes suspectes d'aider les partisans.
En 1944 pendaison à Tulle par des éléments de la division Das Reich, de 99 otages pour répondre à une action des partisans. Massacre de la population d'Oradoursur-Glane (642 personnes) par une compagnie de la Das Reich (régiment Der Führer).
En 1944 en Grèce, cruelles représailles exercées par la SS après qu'un de ses convois fût tombé dans une embuscade tendue par les maquisards.
Kurt Adolf Wilhelm Meyer 1910-1961 Joachim Peiper 1915-1976
En 1944: meurtre de 64 prisonniers canadiens et anglais en Normandie par un élément de la Hitler-Jugend. Un tribunal canadien condamna à mort le général Kurt Meyer. La peine fut commuée. Meyer a été libéré le 5 septembre 1954.
Le 17 décembre 1944 à Malmédy dans les Ardennes, meurtre de 71 prisonniers de guerre américains par un détachement blindé de la Leibstandarte commandé par le SS Peiper.
La défense des apologistes
Les apologistes sont ici moins à l'aise. D'une façon générale ils invoquent le caractère impitoyable de la guerre à l'Est. Des deux côtés on exécutait couramment les prisonniers. Au point que les SS se suicidaient parfois plutôt que de tomber dans les mains des Russes. La Wehrmacht comme la Waffen SS a tué des prisonniers.
Les Totenkopfuerbeinde.
Accusation : Les gardiens des camps appartenaient le plus souvent à la Waffen SS. Nombre de médecins des camps étaient Waffen SS. Défense : Il n'y eut pas de rapport direct entre les unités combattantes et le système concentrationnaire.
Les Einsatzgruppen.
Accusation : Les 3 000 hommes des Einsatzgruppen qui exterminèrent près de 500 000 hommes en six mois provenaient environ pour moitié d'unités combattantes de la Waffen SS d'où la plupart du temps ils avaient été mutés pour raison disciplinaire. Ceux qui les mutaient ne pouvaient ignorer l'usage qui en serait fait.
Oskar Paul Dirlewanger 1895-1945 Bronislaw Kaminski 1899 -1944
Les SS Sonderkommando Dirlewanger et Kaminski.
Accusation : Les 6 500 Russes de Kaminski furent, sur l'ordre de Himmler, incorporés dans la Waffen SS pendant l'insurrection de Varsovie (1944). Leurs atrocités ne furent égalées que par la brigade Dirlewanger qui faisait également partie de la Waffen SS.
Défense : Il s'agit là de deux unités irrégulières à tous les points de vue.
Chaque jour, des centaines d'exécutions
Les Einsatzkommandos pacifient en tuant
Les Einsatzgruppen
Pour la Pologne, Heydrich décide la formation de cinq Einsatzgruppen, soit un groupement pour chacune des cinq armées de l'offensive.
Chaque groupement SS est lui-même composé de commandos SS en mission spéciale, d'environ cent cinquante hommes. Ces derniers ont été recrutés dans les rangs des SD et de la police régulière en uniforme (police nationale ou gendarmerie).
Leur mission est double : empêcher par tous les moyens la formation de poches de résistance ou de mouvements de guérilla.
La petite ville de Bromberg
Günther von Kluge 1882-1945
En 1918, Bromberg était encore une ville allemande. Ele est devenue polonaise à la suite de la défaite de l'Allemagne. Mais en 1939 la communauté de langue allemande y est toujours presque majoritaire. Les maisons, les magasins ont gardé le style germanique.
Le dimanche 3 septembre, les arrière-gardes polonaises de Bromberg s'apprêtent à partir. L'armée allemande du général von Kluge n'est plus très loin. Soudain, des toits et de quelques fenêtres crépitent les premiers coups de feu. Des francs-tireurs allemands tirent. Les Polonais ripostent rapidement pour protéger leur fuite. Quelques heures plus tard, les troupes polonaises reviennent. Les vitres et les volets s'effondrent sous les balles. Dans quelques rues, des groupes civils armés prennent les Polonais à revers. Un soldat isolé est coincé dans une impasse : plusieurs coups de feu, la tête du soldat s'écrase au sol. La fusillade dure jusqu'à la tombée du jour. Elle fait 228 tués du côté polonais et 223 dans le camp allemand.
La nouvelle de ce dimanche sanglant se propage comme une traînée de poudre dans les unités allemandes. La propagande répand des chiffres fantaisistes : cinq mille, puis cinquante mille morts. On crie vengeance. Les SS Totenkopf et les hommes du SD ne font pas de quartier. Le massacre commence.
La Whermach n'est pas contente
Mais tout cela gêne considérablement l'action de la Wehrmacht qui n'a pas encore achevé son offensive, et l'indispose moralement. L'armée classique avait cru naïvement que les hommes du SD se cantonneraient dans le contre-espionnage.
Indignation
Les méthodes des SS surprirent et choquèrent les unités régulières, comme en témoigne le rapport ci-dessous. Ce n'était pourtant qu'un début. L'armée devra s'habituer à bien pire.
Dans beaucoup de régions, tous les propriétaires fonciers polonais ont été arrêtés et leur famille internée. Les arrestations se sont presque toujours accompagnées de pillages. Dans les villes on a fait évacuer des îlots entiers, pris au hasard; les habitants ont été chargés dans des camions et emmenés dans des camps de concentration. Chaque fois, également, des pillages se sont produits. Le logement et la nourriture dans les camps sont tels que le médecin du Corps craint des épidémies qui mettraient la troupe en danger. Devant mes protestations, des améliorations ont été apportées.
Dans plusieurs villes, les actions contre les Juifs ont pris la forme de graves abus de pouvoir. A Turck, le 30 octobre 1939, trois camions de SS, conduits par un officier de grade élevé, sont entrés, et les hommes ont frappé arbitrairement les habitants à coups de nerf de boeuf et de fouet. Même des Allemands de race ont été ainsi frappés. Finalement, un certain nombre de Juifs furent enfermés dans la synagogue où on les obligea à chanter et à ramper entre les bancs, tandis que les SS les cinglaient de coups de fouet. On les contraignit à se déculotter pour mieux les frapper. Un Juif terrorisé, s'étant oublié dans son pantalon, fut contraint à enduire d'ordures la figure des autres.
Objectif. Détruire les sous-hommes
Des exécutions réalisées avec méthode et conscience
Les rapports des commandos
À Kiev, nous avons avisé la population juive par des affiches d'avoir à se regrouper en vue d'une prochaine déportation. 30 000 personnes sont venues. Toutes ont été exécutées. Des dizaines de rapports similaires s'abattent, à l'automne 1941, sur le bureau de Heydrich. Ils proviennent des véritables commandos de la mort.
Les Juifs de la ville ont été avisés d'avoir à se trouver aux lieux et place indiqués, en vue de leur hébergement dans un camp. 34 000 hommes, femmes et enfants se sont présentés. Tous ont été tués après que nous les eûmes contraints d'enlever leurs vêtements et les objets de valeur qu'ils portaient sur eux. Il nous a fallu plusieurs jours pour arriver à nos fins.
En six mois, une poignée d'hommes sélectionnés par Heydrich abattent en Russie près de 500 000 civils, hommes, femmes, enfants de tout âge. On les massacre au revolver, au fusil, à la mitrailleuse, dans les champs, dans les rues, sur les places publiques.
Une immense fosse
Souvent on leur fait creuser une immense fosse. Pendant des heures, ils travaillent sous la menace des armes. Soudain, les SS aboient. Le tombeau est assez grand. Il est l'heure de mourir. Ils remontent. Parfois ils doivent se dévêtir et poser leurs vêtements en des endroits précis. Puis ils s'alignent, debout ou à genoux, au bord de la fosse, sur le parapet formé par les remblais. Ils entendent dans leur dos le cliquetis des chargeurs qu'on enclenche, des culasses qu'on arme. Les salves crépitent. Des corps basculent dans la fosse. D'autres s'affaissent sur place. Les SS s'approchent et, du pied, les poussent dans leur tombe. De la tranchée montent les gémissements, les hurlements de ceux qui n'ont pas eu droit au coup de grâce. Certains lèvent un bras pour montrer qu'ils vivent encore. Des ruisseaux de sang coulent le long des remblais.
Une nouvelle vague de sous-hommes est poussée au bord de la fosse. Les mitrailleuses se déchaînent. Une nouvelle couche de cadavres recouvre la précédente. Et le scénario recommence jusqu'à ce que la tranchée soit remplie.
C'est la grande escalade vers le génocide, vers l'exécution de deux objectifs théoriquement distincts mais étroitement interdépendants : la solution finale de la question juive et la colonisation de l'Est.
Le comportement d'un bon SS
Selon Himmler, voici comment doit se comporter un bon SS envers les populations slaves : Un membre de la SS doit être honnête, convenable, fidèle et bon camarade envers ses compatriotes, mais pas envers les représentants d'autres pays. Par exemple, le destin d'un Russe ou d'un Tchèque ne l'intéresse pas. Dans ces peuples nous prendrons tout ce qui est de bon sang, nous leur volerons même leurs enfants, et nous les élèverons chez nous.
II nous est absolument indifférent de savoir dans quelles conditions ces peuples vivent, dans le bien-être ou dans la misère. Ce problème nous intéresse seulement du point de vue de notre besoin d'esclaves pour le développement de notre culture. Que dix mille femmes russes crèvent d'épuisement en creusant un fossé anti-tank ne m'intéresse qu'autant que le fossé sera prêt pour l'Allemagne.
Nous, Allemands, qui sont les seuls au monde à avoir une attitude correcte vis-à-vis des animaux, nous aurons également une attitude correcte vis-à-vis de ces bêtes humaines. Mais c'est un crime contre notre propre sang de se faire du souci pour eux et de leur apporter un idéal quelconque, qui rendrait l'existence plus difficile à nos fils et à nos neveux.
Si quelqu'un vient me dire : Je ne puis pas utiliser des femmes et des enfants à creuser des fossés, c'est inhumain, ils vont en, mourir, je dois lui répondre : Tu es un meurtrier de ton propre sang, car si la tranchée n'est pas finie, alors ce sont des soldats allemands qui vont mourir, ce sont des fils de mère allemande, c'est notre propre sang. Notre souci, notre devoir, c'est notre peuple, notre sang. C'est à cela que nous devons penser, c'est de cela que nous devons nous soucier, c'est pour cela que nous devons travailler et combattre, et pour rien d'autre. Tout le reste nous est indifférent. Je désire que les SS se comportent ainsi envers les peuples -étrangers non germaniques, et surtout envers les Russes.
Deux groupes de tueurs SS
Ils se conduisent avec une brutalité révoltante
La brigade Kaminski
Kaminski était un ingénieur russe qui avait collaboré avec les autorités d'occupation et obtenu d'elles la permission de gouverner une province derrière le groupe d'armées du Centre. Il recruta une milice pour mener la lutte contre les partisans russes. Cette milice se couvrit de sang et de honte. Les documents ne manquent pas. Leur lecture est le plus souvent insoutenable. Il n'est question que de filles et de femmes violées, éventrées, les seins coupés ; d'hommes décapités, mutilés, brûlés à petit feu de villages pillés et incendiés.
Lors de l'insurrection de Varsovie, du 1er août au 2 octobre 1944, la brigade Kaminski fut incorporée dans la Waffen SS, sur l'ordre personnel de Himmler. Les 6 500 Russes et Ukrainiens de Kaminski se comportèrent comme des sauvages dans les combats de rues, déjà les plus implacables par nature : Leur chef avoua que ses hommes avaient perdu tout sens moral et tenta de s'excuser en déclarant qu'il n'en était plus maître.
La brigade Dirlewanger
En octobre 1944, un millier de volontaires communistes et un millier de criminels, prélevés dans les camps de concentration, furent mis à la disposition de Dirlewanger. Est-il besoin de dire que, dès que l'occasion se présenta, tous les politiques passèrent dans les lignes soviétiques ? Les autres recrues de Dirlewanger étaient en majorité des criminels (voleurs, souteneurs, sadiques, coupables d'attentats aux moeurs, quelques assassins). Il y avait aussi des hommes de la Wehrmacht et de la SS, coupables de désobéissance ou de lâcheté, condamnés par des conseils de guerre et purgeant des peines de prison. On y ajouta même des Russes, des Ukrainiens.
Quant aux cadres de ce ramassis de gibier de potence, les sous-officiers étaient en majorité d'anciens braconniers et d'anciens gardiens de camp de concentration ; les officiers, pour la plupart, avaient été dégradés, à la suite d'un passage devant un conseil de guerre, et ne portaient pas l'insigne correspondant au commandement qu'ils exerçaient.
La discipline était terrible. Dirlewanger détenait, de Himmler lui-même, pouvoir de vie et de mort sur ses hommes, ce qu'aucun chef SS n'avait. Les punitions disciplinaires pleuvaient : coups de gourdins, cellule sans lit et sans fenêtre, où l'homme puni devait se tenir debout jour et nuit ou tout simplement : Umlegen (abattre d'une balle dans la nuque). En 1943, un groupe de 80 hommes de cette unité infernale fut amené au camp de Sachsenhausen. Ils ne furent même pas enregistrés sur les livres d'entrée du camp mais dirigés directement sur le crématoire et abattus à la mitraillette, après la lecture par un responsable SS de leur condamnation à mort pour rébellion.
Des atrocités à la chaîne
Dirlewanger avait une devise : Combattre la terreur par la terreur. En Russie, il s'employa à l'appliquer et à la faire appliquer. Les dossiers des crimes de cette bande en uniforme SS sont innombrables et accablants. Quand elle s'emparait d'un village, la bande commençait par sélectionner les plus jolies filles qui étaient réservées aux soldats méritants.
Les autres habitants du village conquis étaient enfermés dans les granges auxquelles le feu était mis ensuite. Tous les malheureux qui tentaient de s'échapper du brasier étaient tirés comme des lapins.
Konrad Morgen 1909-1982 Friedrich-Wilhelm Krüger 1894-1945
Les atrocités furent telles qu'un juge de la SS ouvrit une enquête. Il s'agissait de Konrad Morgen, juge à la Cour suprême des SS. Son enquête lui avait rapidement révélé que tous les membres de l'unité Dirlewanger avaient été condamnés, et que son chef lui-même n'avait pas une réputation sûre. L'unité s'était livrée à des actes de chantage et de pillage, en particulier à Lublin, et avait tué ceux qui se refusaient à donner de l'argent. Morgen décida de faire arrêter Dirlewanger, et s'adressa à l'Obergruppenführer SS Krüger. Celui-ci téléphona à Berger que si cette bande de criminels ne disparaissait pas de la région en moins d'une semaine, il irait lui-même les enfermer. Berger ne rappela pas l'unité en Allemagne, mais l'envoya en Russie centrale, à Mogilev ; aucune mesure ne fut prise contre elle ; dans un rapport à Himmler du 22 juin 1942, il attribua ce transfert à des accusations plus ou moins justifiées.
En août 1943, Dirlewanger fut décoré de la croix d'or du Reich : il avait supprimé 15 000 partisans, et perdu 92 tués et 8 disparus, avec 218 blessés. Quant au juge Konrad Morgen, il fut relevé de ses fonctions en mai 1942, en raison de sa rigueur, et envoyé au front comme simple soldat.
Massacré par les Russes En octobre 1944, la brigade Dirlewanger alla en Slovaquie où Berger avait été nommé commandant en chef des forces allemandes pour écraser l'insurrection nationale. Dans les dernières semaines de 1944, elle fut envoyée sur le front dans le nord de la Hongrie mais il y eut tant de désertions vers les lignes russes qu'il fallut l'en retirer. Après avoir été renforcée pour en faire la 36ème Waffen-Grenadierdivision der SS, elle fut engagée sur le front de l'Oder. En février 1945. Dirlewanger fut blessé. Sa division fut encerclée peu après et dut se rendre aux Russes, le 29 avril au sud-est de Berlin. Les Russes firent un affreux massacre de tous ces hommes, un des plus horribles de toute la campagne de l'Est, écrit Alan Clarke.
La division SS Das-Reich. Trois mois en France
Elle sème la terreur sur sa route, l'éclaboussant de sang, de feu
La mission est confiée à la division SS Das Reich
Heinz Lammerding 1905-1971
La mission confiée à Lammerding par ses chefs consiste à maintenir à tout prix la liberté de communication entre les diverses unités de la Wehrmacht. C'est pourquoi la moindre action du maquis, sabotage de voies ferrées, attaque de dépôts de chemins de fer, mitraillage des voitures allemandes, doit être immédiatement suivie d'expéditions punitives qui frappent impitoyablement les civils qu'un hasard malheureux a fait vivre à proximité.
Fermes isolées, hameaux, villages et villes subissent à des degrés divers la fureur vengeresse des SS. Tantôt ceux-ci tiraillent au hasard sur les populations, tantôt, suivant un scénario qui paraît avoir été mis au point une fois pour toutes, ils rassemblent les habitants d'une localité sur la grand-place pendant que les maisons sont fouillées et pillées. Les otages sont parfois relâchés sans explication mais, plus souvent, certains d'entre eux, généralement les hommes, sont arrêtés et déportés.
À Montpezat-de-Quercy dans le Lot, un léger accrochage entre des maquisards et une patrouille SS à deux kilomètres de ce bourg comptant quinze cents habitants, provoque une action de représailles immédiate menée par un bataillon blindé. Bilan de l'opération : 4 maisons du bourg et 12 fermes brûlées, certaines après pillage, 4 civils tués dans des conditions abominables et 22 hommes déportés. Pendant que les justiciers opéraient, la population, rassemblée sur la place centrale, était tenue en joue par les mitraillettes et les fusils de leurs camarades. Plus de vingt localités du Lot, de la Dordogne et du Lot-et-Garonne seront, à des degrés divers, soumises à un traitement similaire.
Oradour, ce n'était pas un hasard
Adolf Diekmann 1914-1944
Le convoi SS fait son apparition le 10 juin à 14 heures. Aussitôt les dispositions de bouclage sont prises. Elles consistent à empêcher les habitants de s'enfuir à travers champ et de les refouler vers la place centrale. Puis les hommes sont séparés des femmes et des enfants qui sont enfermés dans l'église. Dickmann ordonne aux otages de se séparer en cinq groupes, d’inégales importances, qui sont dirigés vers les locaux les plus vastes du bourg : deux hangars, un chai et deux garages. Enfin une mitrailleuse est mise en batterie devant chacune des entrées. À 15 heures, tous ces préparatifs sont terminés.
Pendant près d'une demi-heure, les SS et leurs futures victimes restent face à face. Les hommes commencent à reprendre espoir, convaincus qu'aucune arme de guerre ne sera découverte au cours de la fouille des maisons et que, bientôt, ce malentendu prendra fin. Mais, à 15 h 30, Kahn tire en l'air un coup de revolver. C'est le signal. Aussitôt, les mitrailleuses crachent le feu et fauchent les hommes à quelques mètres de distance.
Bientôt un amas de corps sanglants recouvre le sol. Une fois que le tir a cessé, les SS s'approchent et achèvent les blessés à bout portant. Pourtant, dans le hangar Laudy, deux blessés légers et trois habitants, miraculeusement indemnes pour avoir eu la présence d'esprit de se jeter au sol dès le début du mitraillage, parviennent à se dégager. Mais il leur faut encore se dissimuler lorsque les SS reviennent pour mettre le feu au bâtiment. Ces miraculés parviendront ensuite à se glisser à l'extérieur en abandonnant cinq autres blessés graves condamnés à une mort atroce au milieu des flammes.
Pendant ce temps, les femmes et les enfants enfermés dans l'église attendent qu'il soit statué sur leur sort. Tout le monde a entendu le tir des mitrailleuses sans comprendre exactement ce qui se passait. Vers 19 heures, deux SS viennent déposer sur l'autel une lourde caisse remplie de grenades asphyxiantes qui font explosion quelques minutes plus tard.
Au moment où une fumée suffocante commence à envahir l'église, une horrible panique précipite vers les portes cette foule hurlante. Mais les SS ouvrent le feu et c'est un affreux carnage. Puis l'église est incendiée, comme toutes les maisons du bourg, qui n'est plus dans la soirée qu'un immense brasier. Bien qu'il soit impossible de dénombrer exactement les victimes, on estime que 634 personnes ont péri à Oradour-sur-Glane le 10 juin 1944.
Ce massacre est le seul que la Waffen SS, après la guerre, ait considéré comme une tache à son drapeau. Dickmann se serait rendu coupable de manquement aux ordres et, crime encore plus impardonnable, d'avoir retardé de deux jours la marche de son unité vers la Normandie.
Leur cruauté dépassa, parfois, celle des hommes
Les gardiennes des camps étaient comme les autres. Au début
Irma Grese 1923-1945
Elle débuta à dix-huit ans à Ravensbrück en mars 1943. Elle sévit deux ans à Auschwitz et termina à Belsen. C'était une fille splendide.
Elle avait l'air d'un ange Un ange cruel qui se servait constamment d'un fouet qu'elle portait glissé dans une de ses bottes. Elle semblait jouir de la vue du sang, des cris des victimes, de la terreur qu'elle inspirait, de la haine mêlée de fascination qu'elle suscitait chez les détenues. Elle fut pendue, à l'âge de vingt et un ans, le 12 décembre 1945, par le bourreau anglais Albert Pierrepoint.
Plus redoutées que les hommes
Les Aufseherinnen étaient, en général, de grosses filles bien portantes et solides. Elles n'étaient pas toutes des volontaires ; il y avait aussi parmi elles des requises, astreintes par la loi au travail et qui n'avaient pas choisi celui-là. Beaucoup n'avaient jamais été inscrites au parti nazi. Elles provenaient de toutes les classes de la société allemande. J'ai rencontré en particulier une contrôleuse de tramways, une ouvrière d'usine, une chanteuse d'opéra, une nurse diplômée, une coiffeuse, une paysanne, une jeune fille de la bourgeoisie n'ayant jamais travaillé, une institutrice en retraite, une écuyère de cirque, une ancienne gardienne de prison, une veuve d'officier, etc.
Les débutantes avaient l'air généralement effarées de leur premier contact avec le camp, et elles mettaient quelque temps avant d'atteindre le même niveau de cruauté, de débauche que les anciennes. C'était pour certaines d'entre nous un petit jeu assez amer de chronométrer le temps que mettait une nouvelle avant d'atteindre ses chevrons de brutalité.
Pour une petite de vingt ans qui, le jour de son arrivée, était tellement peu au fait des bonnes manières du camp qu'elle disait pardon lorsqu'elle passait devant une prisonnière et qui avait été visiblement effrayée par les premières brutalités qu'elle avait vues, il a fallu exactement quatre jours avant qu'elle prît ce même ton et ces mêmes procédés qui étaient cependant, d'une façon tout à fait nette, nouveaux pour elle. Cette petite était sans doute particulièrement bien douée pour le registre spécial que nous étudions en ce moment.
Pour les autres, on peut dire que huit à quinze jours, un mois au plus, représentaient une moyenne très normale d'adaptation. J'ai cependant entendu parler d'une très jeune Aufseherin qui n'avait pu s'habituer ni à la débauche de ses collègues ni à leur brutalité. Elle pleurait beaucoup, et elle a fini par partir.
Ilse Koch 1906-1967
Ilse Koch exerça un droit de vie et de mort sur les détenus. Un détenu allemand a déclaré à Nuremberg:
Tous les prisonniers ayant des tatouages reçurent l'ordre de se présenter au dispensaire. Après qu'ils eurent été examinés ceux qui portaient les tatouages les plus intéressants furent tués par piqûres. Leurs corps furent ensuite envoyés au service pathologique, où les morceaux de peau tatouée furent remis à la femme de Koch qui fit fabriquer avec cette matière rare des abat-jour. Cette déposition a paru par la suite sujette à caution. Mais l'extraordinaire cruauté d'Ilse Koch n'est pas douteuse. Elle faisait défiler des hommes nus dans la neige jusqu'à les laisser mourir de froid. Elle faisâit fouetté à mort des prisonniers qu'elle accusait de l'avoir regardée d'une manière lubrique.
Condamnée de nouveau à perpétuité le 15 janvier 1951 par un tribunal allemand, elle s'est suicidée dans sa cellule en 1967.
L'ORDRE NOIR SS
Devise des SS. Mon honneur s'appelle fidélité
La naissance. La nuit des longs couteaux
Le désordre nazi SA cède la place à l'ordre SS
La naissance de la SS
Hermann Wilhelm Göring 1896-1946
En mars 1923, Goering crée une garde pour protéger à n'importe quel prix, la vie du Führer : quelques fidèles de la première heure prêtent serment à Hitler et se nomment la Stabswache (corps de garde). Ils portent un uniforme : casquette noire, brassière à bords noirs portant croix gammée, emblème à tête de mort.
C'est à leur propos qu'apparaît le terme de SS. Qui sont-ils ? Des artisans, des ouvriers, des petits-bourgeois. Il y a Berchtold, leur chef, un marchand de cigarettes; Ulrich Graf, premier garde du corps de Hitler, ancien boucher et lutteur de foire etc. La S.S. apparaît pour la première fois sur le devant de la scène de l'histoire au cours de la nuit des longs couteaux. Le 30 juin 1934, Hitler prend la décision de décapiter l'état-major de la S.A. et de dissoudre l'organisation des chemises brunes qui rassemble tous les militants du parti et dont les manifestations brutales et tapageuses dominaient la rue et la vie politique allemande depuis 1921.
Le 30 juin, avec sa rapidité habituelle, Hitler étouffe dans l'oeuf la tentative de la S.A. de s'emparer du pouvoir. L'affaire est réglée au sein du parti, en dehors de toute légalité, avec l'appui de la S.S. Les chefs S.A. sont arrêtés, exécutés sur place ou livrés à des pelotons d'exécution improvisés. Roehm, surpris en plein sommeil, est jeté en prison après une dramatique entrevue avec le Führer, il est abattu dans sa cellule, après avoir refusé de se servir du revolver mis à sa disposition.
Multiples visages de la SS
Bottés et vêtus d'une élégante tenue noire, les S.S. armés seront les mauvais anges gardiens du régime. Recrutés dans un milieu plus élevé que la S.A., ils se montreront plus discrets, mais feront preuve d'une terrible efficacité. Complètement acquis à l'idéal national-socialiste, la principale qualité des S.S. est une fidélité absolue et une obéissance aveugle aux ordres du Führer.
Témoins de la foi raciste mais aussi gardiens de cette foi, ils se feront tout naturellement inquisiteurs. Vivant en même temps la fondation d'une Église et son agonie, ils réussiront à être à la fois bourreaux et martyrs. Pour leur Führer, ils tueront et ils seront tués.
Cette vocation de la mort donnée et de la mort reçue s'exprime dans cette tête de mort dont ils font leur symbole. Dès leur création, ils sont marqués de ce signe et n'auront fait que rester fidèles jusqu'au bout à leur origine interne.
La SS, dans la douzaine d'années qui va suivre la prise du pouvoir, va revêtir des visages divers et même parfois contradictoires.
Le SS, c'est le policier qui arrête le suspect au petit matin blême et c'est le soldat qui affronte les chars ennemis, seul dans son trou, le panzerfaust au poing. Le SS, c'est l'archéologue qui découvre les ruines de la cité viking de Haithabu et c'est le mouchard qui fouille dans les corbeilles à papiers. Le SS, c'est le gardien des camps de concentration et le pourvoyeur des fours crématoires.
Les SS doivent se montrer durs et impitoyables
Ils doivent mépriser leur propre vie et celle des autres
La sélection
Heinrich Luitpold Himmler 1900-1945
Himmler insista d'abord sur l'aspect physique des candidats SS. Tous ceux qui ne mesurent pas, au moins un mètre soixante-dix sont éliminés. Ceux qui remplissent cette première condition doivent en plus présenter un aspect germanique. C'est-à-dire de préférence des cheveux blonds, des yeux bleus et le crâne allonge des dolicocéphales.
Les gens de valeur
Himmler savaient bien que l'apparence extérieure n'est pas le seul critère, si elle reste le critère essentiel. Pour attirer vers la SS ce qu'il nommait des gens de valeur, le Reichsführer partait du principe qu'il ne fallait pas leur offrir un service facile mais leur imposer de dures épreuves et leur demander sans cesse des sacrifices. Dans l'époque qui précéda la prise du pouvoir, on demanda donc aux SS des cotisations élevées. Ils devaient acheter eux-mêmes leur uniforme et si un candidat se déclare incapable de cette dépense, on lui répond :
Tu n'as rien compris. Il faut que tu sois prêt à tous les sacrifices. Va-t-en, nous n'avons pas besoin de toi.
Les volontaires affluent
Ils sont soigneusement examinés et contrôlés. Sur cent hommes, nous ne pouvons en utiliser en moyenne que dix à quinze, pas plus. Nous leur demandons le dossier politique de leurs parents, de leurs frères et soeurs, leur arbre généalogique jusqu'en 1750 et, naturellement, nous exigeons un rapport sur leur hérédité.
Lutte contre les chiens loups : Extrait de SS de Peter Neumann.
Parmi les épreuves auxquelles étaient soumis les futurs SS, une des plus dures était la lutte contre des chiens-loups dressés au combat. Quatre cages contenant les chiens avaient été amenées, et sur un signal on a ouvert les grilles. Les chiens, comme enragés, se sont jetés à la gorge de quatre candidats. Ceux-ci n'avaient absolument rien pour se protéger de la fureur des fauves.
Un entraînement spécial leur permet de venir à bout des animaux après une dizaine de minutes seulement. Mais s'ils ratent leur coup, les chiens, eux, ne les ratent pas. Un des hommes a eu l'épaule ouverte, et de son artère béante, le sang jaillissait par saccades. Il a exigé cependant que l'on ne fasse pas de mal au chien. Je trouve cela parfaitement normal : on excite ces bêtes jusqu'à les rendre enragées, il est juste que l'on en supporte les conséquences. C'est le genre d'exercice qui fait partie de la méthode destinée à tremper le caractère.
Le serment
Tous les candidats SS sont passés obligatoirement par l’Hitler-Jugend, la jeunesse hitlérienne, et doivent s'y être particulièrement distingués. C'est à l'âge de dix-huit ans qu'un jeune Allemand peut manifester ouvertement son désir d'entrer dans la SS. Il est d'abord solliciteur et on sait avec quelle minutie le cas de chacun est examiné. Il devient alors candidat. Mais il ne va pas entrer aussitôt dans l'Ordre noir. Il passe l'indispensable examen sportif, puis il doit satisfaire à deux obligations : d'abord l'Arbeitsdienst, le Service du travail, puis la Wehrmacht, la Force armée. Sous le régime national-socialiste du temps de paix, chaque Allemand passe ainsi deux ans sous les drapeaux. D'abord la pelle, puis le fusil. De dix-neuf à vingt et un ans, il construit des autoroutes et assèche des marais, puis il devient fantassin ou artilleur.
Quand il quitte la caserne, à vingt et un ans, le candidat SS qui vient de recevoir une énergique formation sportive et militaire, subit alors un véritable matraquage idéologique. Il ne s'agit encore que d'un cours élémentaire qu’Himmler résume ainsi : Les lois du mariage et les règles de l'honneur.
Le 9 novembre, jour anniversaire du putsch de 1923, devant la Feldernhalle (le Munich, il prête, à la lueur des torches, le serment de la SS : Je te jure, Adolf Hitler, Führer et Chancelier du Reich, d'être fidèle et brave. Je te promets d'obéir à toi, et à ceux que tu m'as donnés pour chefs, jusqu'à la mort. Que Dieu me vienne en aide.
La nuit de sa prestation de serment, le nouveau membre de la SS reçoit son poignard. À partir de ce jour, il a le droit de défendre son honneur par les armes. Il fait désormais partie de l'Ordre noir, dont il porte enfin les deux runes SS d'argent sur le col de sa vareuse noire.
L'uniforme couleur de nuit
La SS emprunte la couleur de son uniforme à la nuit. Drap noir de la culotte d'équitation, de la tunique et de la casquette plate. Cuir noir des bottes, du ceinturon, du baudrier et de la visière baissée sur un regard implacable. Éclairant cette tenue (le deuil, quelques taches argent brillent d'un éclat de métal glacé : la plaque du ceinturon, l'unique épaulette torsadée ; sur la casquette, l'aigle du parti national-socialiste, devenu l'aigle du Reich, et cette tête de mort empruntée aux vieux régiments de hussards impériaux. Sur le revers du col : à gauche, les insignes de grade, barrettes, étoiles carrées ou feuilles de chêne ; à droite les deux lettres SS en caractère runique qui font songer à des éclairs d'argent.
Le brassard du parti lance une note écarlate, mais il est, lui aussi, souligné de deux bandes noires, pour bien marquer que les SS ne sont pas des nationaux-socialistes comme les autres. Le poignard est inspiré de l'époque de la Renaissance. Sur la lame étincelante, se détache en grandes lettres gothiques la devise de la SS : Mein Ehre heisst Treue (Mon honneur s'appelle fidélité.)
L'hiver, les SS portent un long manteau noir et certaines unités en service arborent le casque d'acier sombre où les lettres SS se détachent en noir sur un écusson blanc. Tout dans cet uniforme, élégant mais funèbre, a été choisi pour impressionner. Ceux qui le portent ont l'impression, en l'endossant, de faire désormais partie d'une caste à part. Ils le revêtent comme une armure médiévale.
À vous, Adolf Hitler, je jure fidélité et bravoure
Je promet d'obéir jusqu'à la mort et que Dieu me vienne en aide
L'obéissance
L'obéissance est la conséquence de la fidélité. Les ordres émanant de la hiérarchie doivent être exécutés, non seulement à la lettre, mais dans leur esprit. Un SS ne peut refuser un ordre. Il peut seulement faire observer qu'il ne se sent pas capable de l'exécuter et demander à en être libéré. Si ses supérieurs confirment leur ordre, il doit l'exécuter malgré tout.
Le sport
Jusqu'à son cinquantième anniversaire, le SS doit passer chaque année un examen sportif et le Reichsführer lui-même tenait à s'y soumettre (même si les examinateurs montrèrent, dit-on, quelque indulgence dans leurs notations). Les épreuves ont lieu en général le 21 juin, date du solstice d'été, qui est une des grandes fêtes de l'Ordre noir.
La marche est le complément normal du sport. Le stade débouche sur la route. Pendant toute la période nationale-socialiste, l'Allemagne a vécu au rythme des colonnes en marche. Sur toutes les routes, ce ne sont que cohortes brunes ou noires qui avancent, en lançant à pleine voix des chants guerriers. Voici revenu le temps des lansquenets.
Dans un peuple mobilisé chaque dimanche pour quelque festivité nationale-socialiste, les SS assurent, au premier rang, le service d'ordre. On les voit à la fête des Moissons, comme au jour des Héros. Ils sont là pour célébrer le Travail ou la Culture, ces grandes entités abstraites, regermanisées pour la circonstance. Ils se costument en guerriers du temps d'Arminius, le vainqueur des légions romaines, pour défiler autour d'un char porteur de la roue solaire.
La famille
Mais l'essentiel de l'activité d'un SS est sans doute la fondation de sa propre famille. Heinrich Himmler ne manque jamais de rappeler à ses hommes que se marier est un devoir sacré et il fixe même à quatre le nombre minimum des enfants que doivent élever ces foyers de l'Ordre noir.
Il envisage même de ne plus donner d'avancement aux officiers qui seraient restés célibataires après trente ans et il indique aux autres qu'il sera tenu compte, pour les nommer à un grade supérieur, de leur valeur en tant que gradé, mais également de leur attitude en tant que chef de famille.
Les prénoms
Après avoir expulsé les saints du calendrier, les SS s'efforcent de les chasser de l'état civil : les prénoms d'origine hébraïque, comme Judith ou Daniel, sont à proscrire. Les enfants des familles SS doivent porter des prénoms d'une origine nordique indiscutable. À la naissance d'un enfant, l'Ordre noir lui offre un chandelier gravé à son nom et orné de caractères runiques. Une devise rappelle au nouveau-né le principe essentiel de la SS : Tu n'es qu'un maillon de la chaine éternelle de la parenté. Il existe une cérémonie de baptême appartenant en propre à la SS.
Formation des cadres SS
Toute élite exige une élite pour la diriger. La SS attachait une attention toute particulière à la formation de ses cadres. Les jeunes hommes jugés dignes de devenir officiers de l'Ordre noir et de gravir rapidement les degrés d'une hiérarchie qui vit consacrer des généraux de trente ans, ces jeunes hommes subissaient la formation redoutable et mystérieuse des Junkerschulen de la SS.
La plus connue, parce qu'elle devait devenir par la suite la pépinière des officiers de la Waffen SS issus de trente-deux nations européennes, est celle de Bad Tôlz, en Bavière.
Les aspirants franchissent le seuil et se retrouvent sur une immense place d'armes. Un seul drapeau, noir avec les deux runes SS blancs, claque au vent des sommets. A Bad Teilz, on étouffe en été et on gèle en hiver. L'instruction est impitoyable : beaucoup de gymnastique et un peu de philosophie. L'essentiel est de tremper les caractères et de donner à ces très jeunes aspirants le sens de l'autorité et de la responsabilité.
La Waffen SS. Une troupe de choc
Ils furent les pompiers du IIIe Reich
Création de la Waffen SS
Conçue initialement pour veiller à la sécurité intérieure de l'Etat, puis pour lutter officiellement contre les juifs et les communistes, la SS est dans l'esprit d’Hitler l'instrument de répression contre les mécontents du régime quels qu'ils soient. Les chefs de l'armée restent les adversaires du parti... Aussi, Hitler tend-il à posséder une autre armée, qui lui soit propre, car toute révolution qui ne contrôle pas l'armée ne peut lui insuffler son esprit. Il espère le faire progressivement partager par la Wehrmacht. Pour cela, il faut que les formations SS se montrent au moins égales, sinon supérieures aux unités combattantes. Le respect du peuple et de la Wehrmacht pour ces nouvelles unités est l'argument psychologique qui entraînera la création de la Waffen SS.
Le recrutement
Le recrutement est fondé sur une sélection draconienne au point de vue physique et racial. A la Leibstandarte, la taille minimale est de 1,80 m. Elle est de 1,75 m pour les deux autres régiments. Ces unités rassemblent les plus beaux spécimens de la race germanique. Les conditions d'engagement sont très sévères : 4 ans pour la troupe, 12 ans pour les sous-officiers, 25 ans pour les officiers. Malgré la longue durée des engagements, les candidats sont nombreux : ils se recrutent surtout dans les Jeunesses hitlériennes et parmi les paysans, attirés par une carrière où les distinctions sociales sont abolies.
L'instruction est basée, on l'a vu, sur une très haute valeur athlétique. Les officiers comme la troupe sont tenus de pratiquer tous les sports de combat individuels et collectifs. L'instruction militaire est menée d'une façon beaucoup plus brutale que dans la Wehrmacht. Les exercices avec tir réel sont fréquents. Mais ce qui distingue surtout le SS, c'est son éducation politique. L'endoctrinement idéologique est aussi important que l'instruction militaire.
Témérité des Waffen SS
Pour bloquer la contre-attaque des chars britanniques, les SS font preuve d'un héroïsme certain : un officier laisse un char s'approcher, lance ses grenades et se fait écraser ; un homme bondit sur l'arrière d'un autre char, dégoupille une grenade et veut l'introduire par les fentes de visée : il est abattu par le char qui suit ; d'autres attendent que les véhicules adverses soient à cinq ou dix mètres pour ouvrir le feu avec leur fusil ou leur pistolet mitrailleur.
Toujours à l'avant-garde de ses unités, Sepp Dietrich, le 28 mai, près d'Esquelbeck, passe sans s'en douter près d'un centre de résistance britannique qui ne se dévoile qu'au dernier moment. Pris sous une rafale d'armes automatiques, il se jette dans le fossé pendant que sa voiture prend feu. L'essence coule dans sa direction ; pour se préserver des flammes, il se roule dans la boue gluante, assiste pendant de longues heures aux combats acharnés qui se déroulent près de lui, car ses subordonnés, inquiets de sa disparition, lancent chars, automitrailleuses, bataillons SS contre les Britanniques. Il est finalement dégagé par une manoeuvre de débordement qui oblige les Anglais à décrocher. La Liebstandarte a failli perdre son aventureux Obergruppenführer.
Un acte de barbarie
Fritz Knöchlein 1911-1949
Une compagnie de la SS Totenkopfdivision capture, après des engagements très sévères, une centaine d'Anglais qui luttent désespérément dans une ferme, près du village Le Paradis, jusqu'à épuisement de leurs munitions. Les pertes sont élevées parmi les assaillants. Le commandant SS, fait aligner les survivants contre un des murs de la ferme et, froidement, les fait massacrer à coup de rafale de mitrailleuse. Ceux qui donnent encore des signes de vie sont achevés à la baïonnette ou au pistolet. Deux Anglais réussissent pourtant à s'évader. Ils sont repris plus tard par une autre formation de la Wehrmacht et sont soignés dans un hôpital. Après la guerre, ils révèlent l'impitoyable tuerie, font traduire Knochlein devant un tribunal militaire ; l'officier SS est condamné à mort le 25 octobre 1948 et pendu trois mois plus tard.
Le chaudron de Tcherkassy
En février 1944, une manoeuvre en tenaille permet l'encerclement de deux corps allemands sur le balcon du Dniepr à Tcherkassy Parmi les troupes prises au piège, se trouvent deux formations SS, la Wiking et la brigade Wallonie. Rejetant toutes les offres de reddition répercutées par les officiers transfuges du comité Allemagne libre, les assiégés tentent une sortie en masse et se ruent littéralement au-devant des blindés du général Hube, qui tente de progresser jusqu'au chaudron.
Hans-Valentin Hube 1890-1944
L'armée se précipita vers le sud-ouest, écrit Léon Degrelle, chef de la brigade Wallonie. Il neigeait à gros flocons. Abrités sous ce voile de flocons épais, nous courions à perdre haleine. Le terrain était monstrueux. Nous foncions d'une colline à l'autre. Le creux de chaque ravin était un entassement effroyable de véhicules broyés, de dizaines de soldats tués, jetés en travers de la neige rouge. Les pièces ennemies martelaient sauvagement ces passages. Nous devions nous coucher à l'abri des morts.
Mais le dégel freine la marche de la colonne de secours et provoque, dans la poche, d'inextricables embouteillages. Des milliers de camions, poursuit Degrelle, échelonnés sur vingt kilomètres, par trois véhicules de front, patinaient dans les grenouillères noirâtres de la route, convertie en un cloaque prodigieux. Cette masse énorme était une cible incomparable pour l'aviation. Les appareils soviétiques, déchaînés comme des essaims stridulents de guêpes, piquaient sur les colonnes engluées.
Les troupes soviétiques multiplient en même temps les attaques sur les flancs de la poche. Dans la plaine, les Russes arrivaient comme la marée. Ils poussaient, avec eux, leur artillerie légère. Ils virent nos deux panzers qui progressaient le long de la côte nue. Les obus de leur Pack s'abattirent aussitôt en avalanche, encadrant nos blindés, écrêtant le rempart, tuant des hommes.
Le 17 février 1944, tout parait perdu. La seule issue se réduit à un étroit couloir entièrement sous le feu des chars et des fantassins soviétiques. À l'arrière-garde, les Wallons se trouvent isolés. Nous nous étions collés les uns aux autres pour ne pas mourir de froid. Chacun avait jeté ses papiers, bagues, alliances quel espoir nous restait-il de sortir vivants ou libres de cette faille étroite, puisque les chars ennemis barraient le sud ?
Finalement, l'impossible réussit. Plus de 40 000 hommes réussirent à s'extraire du chaudron de Tcherkassy, laissant derrière eux près de 10 000 cadavres.
Heidrich. L'archange de la mort
Himmler. Le souverain du monde concentrationnaire
Himmler
Il avait une personnalité difficile à saisir. Ceux qui l'ont connu de son vivant avaient peine, après l'avoir vu, à le décrire. Il y a autant de portraits que de témoignages : Une application d'écolier borné, mais aussi quelque chose de méthodique comme peut l'être un automate.
Un bon maître d'école, certainement pas un chef.
Froid, calculateur, avide de pouvoir, mauvais génie d’Hitler, l’individu le plus dénué de scrupules de l’IIP Reich.
Jamais je n'ai pu accrocher son regard, toujours fuyant et clignant derrière son pince-nez.
Cet homme n'avait rien de diabolique. Courtois, non dépourvu d'humour, il aimait à jeter de temps en temps un mot d'esprit pour détendre l'atmosphère.
Un égoïste forcené
Dans son comportement, Himmler paraissait effacé, insaisissable et d'une froideur absolue. Ceux qui vécurent dans son entourage ont tous affirmé que c'était un être profondément dissimulateur, hypocrite, entêté, venimeux, animé par une farouche volonté de domination qui ne s'évanouissait qu'en présence d'Adolf Hitler. Quand le Führer lui adressait un reproche, Himmler restait tremblant, l'air d'un chien battu, incapable de formuler le moindre mot pour sa défense ; il était comme foudroyé.
En outre, il était d'un égoïsme forcené et doté d'une profonde indifférence affective. Capable de fournir un immense travail, dans un automatisme routinier, il trahissait souvent une extrême surexcitation interne qui se traduisait par des rougeurs aux pommettes et sur le front.
Son fanatisme en apparence glacé était profond, tumultueux, fantasmagorique et brûlant de sincérité. Il suffit de lire ses discours, d'en entendre les enregistrements qui subsistent, pour se rendre compte que ce mystique du mythe du sang croyait de tout son être à ce qu'il disait et qu'il ne reculait devant rien, aucun crime, pour réaliser les objectifs fixés par son Führer.
Heinrich Himmler est né le 7 octobre 1900, à Munich.
Les trois fils Himmler furent élevés, selon les méthodes de l'époque, dans une famille catholique qui ne plaisantait pas avec la morale, l'obéissance et les convenances, et dans l'amour et le respect de la patrie allemande. Fils docile, affectueux et respectueux, Heinrich entretiendra avec les membres de sa famille des relations excellentes jusqu'à la fin de leur vie.
Reinhard Tristan Eugen Heydrich 1904-1942
Heidrich
Élégant, sportif, de type pseudo-nordique, prétentieux comme une star, coureur effréné de jupons,bref dans son propos, tranchant comme un rasoir, systématique et réglé comme une machine électronique, était très exactement le contraire de Himmler.
Il est difficile de démêler les rapports précis entre les deux chefs SS. Cependant, sur un point, il n'existe pas le moindre doute : dans l'association, Heydrich était officiellement au second plan mais, en réalité, il jouait le rôle déterminant ; à sa manière, bien entendu. Analysant très exactement les faiblesses du Reichsführer SS et sachant qu'il pouvait tabler sur sa vanité et son complexe d'infériorité, Heydrich entreprenait de l'alimenter en douceur en idées et en réalisations, s'y prenant de la façon la plus subtile. Jamais le moindre indice n'en parviendra au public.
Cet homme constituait le pivot caché autour duquel tournait le régime nazi. L'évolution de toute une nation était indirectement guidée par ce puissant caractère. Il était de beaucoup supérieur à tous ses collègues politiques et il les contrôlait, comme il contrôlait la vaste organisation de renseignements du SD.
Wilhelm Canaris 1887-1945
En quelques années, Heydrich réussit à être l'homme le plus redoutable du IIIè Reich, alors que Himmler en était l'homme le plus redouté. Les ambitions de Heydrich étaient sans limite. Il développa son service de Renseignements à un point difficilement imaginable. Rien ni personne ne lui résistait. Sauf une seule personne : il ne put, de son vivant, abattre l'amiral Canaris, chef de l'Abwehr (service de renseignements de l'armée allemande, indépendant du parti comme des SS), malgré une lutte secrète, mouchetée, féroce, qui dura de 1935 à 1942.
Dès 1931, Heydrich était convaincu que, tôt ou tard, Hitler prendrait le pouvoir. C'est pourquoi il créa délibérément à l'intérieur même des SS, une organisation bien à lui pour doubler et, si nécessaire, remplacer tout l'appareil du gouvernement, amorçant ainsi un État dans l'État.
Que sont-ils devenus ?
Condamnés à mort ou perpétuité, acquittés, disparus ou libérés
Joseph Dietrich
Né en 1892. Volontaire dans les Uhlans. Conducteur de chars de combat. Sergent-major à la fin de la première guerre mondiale. Garde de corps du Führer dans les débuts du parti national-socialiste à Munich. Organisateur de la Leibstandarte Adolf Hitler, devenue avec la guerre brigade, puis division. Commandant le 1er corps blindé SS, puis la VP armée S S. Condamné à vingt-cinq ans de à la forteresse de Landsberg. Meurt en 1967.
Skorzeny Otto
Né en 1908 à Vienne. Ingénieur et membre du parti national-socialiste autrichien. Mobilisé en 1939 dans la Waffen S S. Participe avec la division Das Reich à la campagne de Russie. Muté au SD et chargé des opérations spéciales. Libère Mussolini le 12 septembre 1943. Participe à l'opération contre le Burgberg de Budapest et à la bataille des Ardennes. Commandant de division sur l'Oder à la fin de la guerre. Arrêté, évadé et réfugié en Espagne. Meurt le 6 juillet 1975.
Lammerding Heinz
Né en 1905. Officier de la Reichswehr. Rejoint la division Totenkopf au début de la guerre à l'Est. Commandeur du régiment Thulé. Chef du Kampfgruppe Das Reich puis commandeur de cette division, réorganisée en France au printemps 1944. Chef d'état-major d’Heinrich Himmler, de février 1944 à mars 1945.Condamné à mort par contumace en France pour les affaires de Tulle et d'Oradour. Non extradé. Mort le 13 janvier 1971.
Adolf Eichmann
Né en 1906. SS Obersturmbannführer (lieutenant-colonel). Entré au SD en 1934. Chef de la section des Affaires juives du SD. Chargé du transport des Juifs vers les camps d'extermination. Arrêté sous un faux nom par l'armée américaine, il s'évada. Réfugié en Argentine avec sa famille. Capturé en 1961 par les Israéliens. Jugé et pendu à Jérusalem, en Israël, en 1962.
Félix Steiner
Né en 1896 Il participe aux campagnes de Pologne et de France et gagne une des premières cravates de chevalier de la croix de fer. À la fin de l'année 1940, il devient le premier chef de la division Wiking, formée de volontaires allemands et germaniques. À sa tête, il participe à l'offensive contre la Russie et se bat en Ukraine et dans la région du Donetz. L'année suivante, il fonce sur le Kouban et atteint le Caucase.
Il se fait remarquer pour son esprit critique et Heinrich Himmler lui écrit : Vous êtes mon général le plus désobéissant. Il a la réputation de faire ce qu'il veut et de ne recevoir de conseils de personne.
Dans les derniers jours du IIIe Reich, il commande le Groupe d'armées Steiner et Adolf Hitler l'attendra jusqu'au bout dans Berlin encerclé. Mais il ne parvient pas à percer. Prisonnier des Britanniques, il ne sera libéré qu'en 1948. Il s'installe alors à Munich et entreprend de rédiger des essais et des souvenirs. Il meurt en 1966 à Munich.
Léon Degrelle 1906-1994
Il participe comme sous-officier mitrailleur aux opérations sur le Caucase et va gagner tous ses galons au prix de plusieurs blessures, récoltées au corps à corps. Lorsque la légion Wallonie, devenue brigade d'assaut de la Waffen SS, est encerclée à Tcherkassy à la fin de l'hiver 1944, il joue un rôle primordial dans la rupture de l'étau soviétique et sera décoré de la croix de chevalier par Adolf Hitler lui-même, qui dit à cette occasion : Si j'avais un fils, je voudrais qu'il fût comme vous.
Lors de la débâcle du IIIe Reich, il parvient à gagner le Danemark, puis la Norvège. Il s'envole alors pour l'Espagne, à bord d'un avion qui n'a que 2 500 kilomètres d'autonomie et fait un atterrissage de fortune sur la plage de Saint-Sébastien, sans une goutte d'essence.
Grièvement blessé une fois encore, il s'installe en Espagne. Condamné à mort par contumace dans son pays, il fait l'objet de plusieurs demandes d'extradition, ce qui ne l'empêche pas de poursuivre une carrière d'industriel. Ses livres de souvenirs, la Cohue de 40, et surtout la Campagne de Russie (récemment réédité par la Table Ronde, sous le titre de Front de l'Est), témoignent d'un talent certain de polémiste et d'écrivain.
À certaines occasions, comme le mariage d'une de ses filles, il n'hésite pas à se faire photographier en grand uniforme de colonel de la Waffen SS, avec toutes ses décorations ornées de la croix gammée.
L'INVASION DE LA TCHÉCOSLOVAQUIE
Hitler raye ce pays de la carte en mars 1939
De concessions en concessions de la part des nations occidentales, d'exigences en exigences du côté allemand, on en vint, après les soi-disants accords de Munich de septembre 1938 à ce que souhaitait Hitler: la prise de possession du territoire tchécoslovaque, après le coup de force qui fit accepter au président Hacha un protectorat qui se transforma sur l'heure même en annexion déguisée. Officiellement, la Tchécoslovaquie cessa d'exister le 15 mars 1939.
M. Neville Chamberlain exprima son désappointement et sa consternation, mais n'alla pas plus loin. Son gouvernement s'engageait à poursuivre la politique d'apaisement. La France et l'Angleterre émirent chacune une protestation, Ribbentrop refusa de les recevoir. Le fond de l'abîme. D'ailleurs, quelle importance, fait remarquer Léonard Mosley, puisque la Tchécoslovaquie n'existait plus.
La création de la Tchécoslovaquie
Un état pluri-national
L'état tchécoslovaque est proclamé le 28 octobre 1918 avec la bénédiction des puissances victorieuses (France, Angleterre, Etats-Unis). Cette proclamation résulte d'un long travail d'influence mené par deux hommes politiques tchèques, Thomas Masaryk et d'Edvard Benes, auprès des dirigeants alliés, au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et dans l'idée (soutenue notamment par Clemenceau) d'éviter à tout prix le maintien de l'empire austro-hongrois, considéré, plus encore que l'empire prussien, comme l'ennemi à abattre. Construit dans la précipitation et sans véritable consultation des populations, le nouvel état apparaît dès sa création comme une construction artificielle.
La Tchécoslovaquie est un état pluri-national comprenant des Tchèques et des Slovaques mais aussi de très fortes minorités allemandes, hongroises, polonaises et ruthènes. Présentée comme un modèle de démocratie et un exemple de réussite économique (c'est l'un des pays les plus industrialisés d'Europe), la Tchécoslovaquie doit faire face pendant l'entre deux guerres à de graves problèmes internes liés à la question des nationalités. Ces dissensions profondes aboutissent à l'éclatement du pays au profit de l'Allemagne, seconde étape (après l'Anschluss) de la politique d'expansion du Reich qui conduira au second conflit mondial.
L'invasion des Sudètes
Accueil délirant réservé au Führer
La conférence a lieu le 29 septembre 1938 à Munich, dans la maison du Führer. Elle réunit Chamberlain, Daladier et Mussolini. Les Tchèques avec qui Hitler refusait de traiter directement sont absents. L'Union Soviétique n'est pas invitée. Mal préparée, la conférence se déroule de 12 h 45 à 20 h 00 dans une certaine confusion. L'accord finalement signé donne toute satisfaction à Hitler. L'intégralité du territoire des Sudètes est attribuée au Reich. Les populations tchèques désirant quitter les zones rattachées à l'Allemagne auront jusqu'au 10 octobre pour le faire. La France et la Grande-Bretagne s'engagent à garantir les nouvelles frontières de la Tchécoslovaquie. Quant au gouvernement de Prague, il est mis devant le fait accompli et obligé de s'incliner. À leur retour en France et en Grande-Bretagne, Daladier et Chamberlain sont célébrés comme des héros. La paix a été sauvée.
Le 1er octobre 1938, la Wehrmacht pénètre dans les Sudètes sous les acclamations des habitants. Pour Hitler, c'est un succès total, obtenu sans tirer un seul coup de feu. Pour la Tchécoslovaquie, c'est une catastrophe. Le pays est amputé de 30 000 km² (environ 38 % de la superficie de la Bohème) et perd 3 550 000 habitants dont 2 800 000 Allemands et 750 000 Tchèques. La ligne de défense fortifiée étant englobée dans les territoires cédés, le pays devient indéfendable. À la perte des Sudètes s'ajoutent, peu après Munich et à la suite d'accords arbitrés par Ciano et Ribbentrop (1er octobre et 2 novembre 1938), celle de différents territoires revendiqués par les Polonais et les Hongrois.
Les paroles prononcées par Hitler à Cheb pour féliciter ses nouveaux sujets de leur amour pour la mère patrie présageaient nettement l'avenir. Il assura, dans son style grandiose: Au-dessus du plus grand Reich allemand s'étend un bouclier allemand qui le protège et que protège lui-même une épée allemande! Les auditeurs attentifs notèrent que, en une journée d'occupation, le territoire des Sudètes était devenu partie intégrante du Reich, et comprirent la signification dés mots plus grand et épée. Quant à Hitler, convaincu que la seule menace suffirait à faire de lui le maître de l'Europe, il commença à préparer l'annexion suivante.
Hacha signe l'acte de complète rédition
Et l'arrêt de mort de la Tchécoslovaquie
Rencontre entre Emil Hâcha 1872-1945 et Adolf Hitler 1889-1945
Les Tchèques, confinés dans l'État croupion qui dépendait encore de Prague, n'étaient nullement rassurés par les scènes de fraternisation des Sudètes. Ils auraient eu tort de l'être. Moins de six mois après la démission de Benes, Berlin fit pression auprès des Tchèques pour qu'ils choisissent comme successeur, le président de la Cour suprême, Emil Hâcha, homme bien intentionné mais prématurément sénile à soixante-dix ans. Au cours de l'hiver, la tension ne cessa de monter: il était à présent évident qu’Hitler était résolu à établir sa domination sur ce qui restait de la Tchécoslovaquie, quitte à l'envahir si nécessaire. En mars 1939, Hâcha, dont la position devenait intenable, sollicita une entrevue qu’Hitler lui accorda avec une grâce cynique, en la présentant comme une rencontre entre deux chefs d'États voisins.
Une garde d'honneur, des fleurs et une boîte de chocolats attendaient le président tchèque à la gare de Berlin. Le Führer, souriant et la main tendue, lui fit passer le seuil de la chancellerie. Mais à peine les portes des appartements privés étaient-elles refermées sur eux que Hitler annonça au vieillard qu'il avait donné ses ordres deux jours plus tôt pour envahir la Tchécoslovaquie et l'incorporer au IIIe Reich. Après quoi, il fit demi-tour et quitta la pièce.
Hâcha s'évanouit. Deux ministres nazis restés avec lui furent pris de panique, redoutant, comme un interprète allemand le révéla par la suite, que le monde entier ne dise demain qu'on l'a assassiné à la chancellerie. Mais un médecin ranima Hâcha et, à 4 heures du matin, celui-ci signait un acte de complète reddition.
Les troupes allemandes entrent à Prague
Une nation acculée au désespoir. Il n'y a plus de Tchécoslovaquie
Lorsque les avant-gardes de l'armée allemande entrèrent à Prague, la physionomie de la cité avait changé pour toujours. Il n'y eut pas de vivats.
Dans la soirée, lorsqu’Hitler arriva en voiture, sous une neige fine, le silence du désespoir s'appesantit sur la capitale vaincue. La tristesse des Tchèques augmenta les jours suivants, quand la machine administrative allemande se mit en route pour réorganiser méticuleusement leur vie quotidienne. Quelque temps plus tard.
Hitler infligea au pays prostré une nouvelle blessure, en constituant à l'est de Prague une république indépendante de Slovaquie, qu'il avait conçue comme base à ses futurs desseins concernant le territoire polonais, au nord.
Le dépeçage de la Tchécoslovaquie
Des voisins à l'appétit féroce
Tandis que les Tchèques regardaient d'un oeil morne les forces allemandes investir, à Prague, le coeur du pays, une répétition tragi-comique des festivités sudètes se déroulait en Ruthénie. Dans cette région s'agitait une minorité de Hongrois séparatistes: ils voulaient voir la Ruthénie entière rattachée à leur patrie d'origine, qui en avait absorbé la partie sud.
Miklós Horthy de Nagybánya 1868-1957
Hitler avait naturellement compté sur ce mouvement pour rendre plus facile le démembrement de la Tchécoslovaquie. Il avait déjà invité le régent de Hongrie, Miklés Horthy, à participer au partage des dépouilles en envahissant la Ruthénie. Celui qui veut se mettre à table, lui avait-il écrit, doit d'abord donner un coup de main à la cuisine.
Merci de tout coeur, répondit Horthy le 13 mars 1939, deux jours avant l'entrée des Allemands à Prague. Les plans sont déjà faits. Le jeudi 16, il se produira u incident de frontière qui permettra de frapper samedi le coup décisif.
L'incident de frontière eut lieu sans difficulté, un jour plus tôt que prévu en fait, grâce à la coopération enthousiaste des populations séparatistes. Mais, alors que les troupes hongroises engloutissaient la Ruthénie, elles rencontrèrent une faible résistance armée. C'étaient des Ukrainiens, qui retardèrent ainsi pendant vingt-quatre heures le moment du festin avant d'être avalés à leur tour. Par une ironie finale, la voracité de l'envahisseur l'entraîna au-delà des frontières de la Ruthénie, en Slovaquie, où des combats mirent aux prises des hommes de Horthy et des soldats slovaques abasourdis. Il fallut un ordre catégorique des protecteurs allemands de la Slovaquie pour stopper les colonnes hongroises.