GARDIENNESDE-CAMPS-SS

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LES ACCORDS DE MUNICH

La paix à tout prix

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La Tchécoslovaquie est rayée de la carte.

De concessions en concessions de la part des nations occidentales, d'exigences en exigences du côté allemand, on en vint après les sois-disants accords de Munich de septembre 1938 à ce que souhaitait Hitler : l'annexion déguisée de la Tchécoslovaquie.
Officiellement ce pays cessa d'exister le 15 mars 1939.
Mr Neville Chamberlain exprima son désappointement et sa consternation, mais n'alla pas pluis loin.
La France et l'Angleterre émirent chacune une protestation, Ribbentrop refusa de les recevoir.
D'ailleurs quelle importance, puisque la Tchécoslovaquie n'existait plus.

 

La Tchécoslovaquie. Une démocratie modèle

On ne fit rien pour venir en aide à la Tchécoslovaquie

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En 1918, la Tchécoslovaquie avait été taillée tant bien que mal dans les provinces du nord de l'ancien empire austro-hongrois. Il était facile, pour ceux qui le désiraient, de se persuader qu'en 1938 la Tchécoslovaquie représentait un fait politique aussi désuet que l'avait été l'Autriche-Hongrie au début de ce siècle. C'était faux. Grâce, en effet, à l'admirable mise en valeur des ressources sociales et économiques dont ils disposaient, les Tchèques avaient, dans un laps de temps très court, construit une démocratie modèle dont la souveraineté appartenait au peuple et qui était gouvernée par un Parlement composé de deux Chambres. Un des résultats de cette organisation et de l'esprit d'entreprise du peuple tchèque apparaissait dans les structures industrielles et commerciales d'où étaient sorties des réalisations sociales qui suscitaient l'admiration de l'Europe entière.

Le noyau de la population comprenait 10 millions de Tchèques et de Slovaques, mais dans la partie ouest du pays vivaient un peu plus de 3 millions d'Allemands qui avaient reçu la nationalité tchèque au moment du tracé des nouvelles frontières. Enfin, à l'est habitaient 800 000 Magyars et 500 000 Ukrainiens, ainsi que 60 000 Polonais regroupés dans la région industrielle et minière de Teschen. Ces minorités constituaient une source latente de troubles. Hitler réclamait non seulement une revision du tracé de ses frontières orientales, en prévision d'une plus grande expansion vers l'est, mais également l'élimination de tout système de gouvernement qui pût rivaliser avec le sien.

 

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Konrad Henlein 1898-1945

 

En 1934, un parti autonomiste s'était formé, au sein de la minorité allemande, sous la direction de Konrad Henlein. Il allait devenir, l'année suivante, le parti allemand des Sudètes. Deux ans plus tard, toujours sous la conduite de Henlein, et encouragé et financé ouvertement par Hitler, il réclamait le droit de former un Etat national-socialiste autonome à l'intérieur même des frontières de la Tchécoslovaquie ! Après l'Anschluss, cette requête reposa sur une force visible et une menace précise, car l'annexion de l'Autriche avait découvert tout le flanc méridional de la région des Sudètes, la rendant ainsi vulnérable à une éventuelle attaque allemande (ou à un soutien, selon le point de vue.

 

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Churchill ne fut pas le seul, à l'époque, à prévoir le prochain objectif du programme de Hitler. Deux jours après l'occupation de l'Autriche par les Allemands, des représentants de la Russie soviétique avaient pris contact avec le gouvernement français pour étudier les mesures destinées à assurer l'indépendance de la Tchécoslovaquie. La Russie se déclarait prête à se porter à l'aide des Tchèques si la France agissait de même. Mais cette dernière tenait à savoir quelle serait la position de l'Angleterre si elle entrait en guerre. Certes, les Russes se déclaraient décidés à agir, mais les Français étaient déconcertés par cette situation. Finalement, c'est l'attitude de la Grande-Bretagne qui devait être le facteur déterminant.

 

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Edward Frederick                Edvard Beneš 1884-1948

Lindley Wood 1881-1959 

 

Seulement, les Anglais ne souhaitaient pas se lancer dans un conflit  et certainement pas pour la cause d'un pays dont la plupart d'entre eux ne connaissaient que le nom barbare et ce fut avec un grand soulagement qu'ils accueillirent les pronostics apaisants de leurs dirigeants. Ceux-ci conseillaient la prudence et la modération. Ils reflétaient ainsi le profond désir de paix de M. Chamberlain, et aussi ce que les Anglais, en général, ignoraient, les profonds sentiments religieux de lord Halifax, qui considérait la Russie comme l'Antéchrist.
On ne fit rien pour venir en aide à la Tchécoslovaquie et les avances de la Russie furent repoussées avec une rudesse dont les Britanniques n'usèrent jamais dans leurs rapports avec l'Allemagne nazie.

Pendant tout l'été de 1938, le Dr Benès, président de la Tchécoslovaquie, dut subir les insultes et les menaces d’Hitler, tandis que les services de propagande de Goebbels répandaient des histoires effroyables sur de prétendues atrocités commises par les Tchèques sur les Allemands des Sudètes. Alors, à regret, M. Chamberlain en arriva à la conclusion que le seul espoir de préserver la paix dans le monde était de satisfaire à toutes les demandes d’Hitler, c'est-à-dire d'accorder l'autonomie complète au pays des Sudètes.
C'est à peu près à cette époque que le mot apaisement devint à la mode dans le vocabulaire britannique. Cette politique d'apaisement  avait alors pris un sens beaucoup plus subtil, celui de concession, d'abandon, de volonté de se tenir, à tout prix, en dehors du coup.

 

Herr Hitler était un gentleman

C'est un premier ministre désemparé qui regagna l'Angleterre

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Au début de septembre, le premier ministre britannique avait décidé que le meilleur moyen de rétablir le calme dans un monde troublé était de rendre personnellement visite à Hitler. C'est dans cette disposition d'esprit qu'il atterrit à Munich, le 15 septembre 1938. Une nouvelle l'y attendait. Tandis qu'il volait vers l'Allemagne, Hitler avait augmenté ses prétentions. Il ne demandait plus l'autonomie pour les Sudètes ; il exigeait maintenant l'intégration de leur territoire au Grand Reich allemand. Chamberlain apprit, au cours de son entrevue avec le Führer, que rien d'autre ne pouvait donner satisfaction au maître de l'Allemagne. Mais il acquit aussi la certitude que si Hitler se montrait dur et impitoyable, il était pourtant un homme à qui on pouvait se fier quand il avait donné sa parole. A son retour, Chamberlain en donna l'assurance aux Anglais, qui furent ravis de l'entendre dire. Herr Hitler était un gentleman.

 

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Suivit une conférence à Londres avec MM. Daladier et Bonnet, respectivement président du conseil et ministre des Affaires étrangères. Le problème n'était pas de savoir si l'on donnerait une suite à la demande d’Hitler, mais comment faire accepter cette demande au gouvernement tchèque. Ni les Français ni les Britanniques n'approuvaient l'idée d'un plébiscite qui eût permis aux habitants du pays des Sudètes de faire connaître leur désir profond ou non  de s'intégrer au Reich allemand. Ils désiraient seulement la cession pure et simple de la zone contestée qui, soulignons-le, abritait la ligne dé fortifications défensives de la Tchécoslovaquie contre l'Allemagne. 
Dans la matinée du 21 septembre, les représentants français et anglais à Prague avertissaient le président Benès qu'il devait se soumettre aux exigences d’Hitler et que toutes les zones de Tchécoslovaquie contenant plus de 50 % d'Allemands devaient être livrées avant que se crée une situation dans laquelle la France et l'Angleterre ne pourraient avoir aucune responsabilité. Voilà comment les grandes démocraties protégeaient leurs soeurs plus faibles.

 

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Le 22 septembre, Chamberlain prit de nouveau l'avion pour s'entretenir avec le Führer, qui, cette fois, se rendit aimablement à sa rencontre dans un hôtel de Godesberg. Hitler écouta la déclaration de Chamberlain l'informant que la France et l'Angleterre avaient recommandé de satisfaire à ses exigences, puis, après l'avoir remercié courtoisement, il déclara : Es tut mir furchtbar leid, aber das geht nicht mehr (Je suis désolé, mais ceci ne suffit plus, maintenant). D'autres pays possédant des frontières communes avec la Tchécoslovaquie lui avaient demandé que les parties de cette dernière occupées par leurs minorités respectives leur fussent également cédées, et Hitler appuyait ces revendications. Non seulement les provinces occidentales (c'est-à-dire le pays des Sudètes) devaient être livrées à l'Allemagne, mais les provinces orientales, où vivaient des Hongrois et des Polonais, devaient être cédées à leur pays d'origine. En fait, il s'agissait d'un démembrement pur et simple de la Tchécoslovaquie.
M. Chamberlain passa les trente-six heures qui suivirent dans la contrariété, le désarroi et la honte. Il ne le cacha pas au Führer qui l'écouta le plus courtoisement du monde, mais aussi, comme on peut l'imaginer, avec un sourire quelque peu sarcastique. En tout cas, il ne montra aucune disposition à réduire ses prétentions. C'est un premier ministre désemparé qui regagna l'Angleterre, pour y constater un raidissement de l'opinion publique, attitude qui ne fit sans doute qu'accroître la déception de celui qui se considérait comme le pèlerin de la paix.

 

La paix à n'importe quel prix

La conférence commença dans la soirée du 29 septembre 1938

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À la suite de cette soudaine poussée de méfiance envers Hitler, on décida de rejeter les conditions de Godesberg. La Tchécoslovaquie put mobiliser sans l'opposition de la France et de l'Angleterre, et la France décréta même une mobilisation partielle. Les démocraties paraissaient enfin réagir devant le danger. Le 26 septembre, Hitler reçut un message de Chamberlain auquel il répondit par un véritable ultimatum : si le 28 septembre, à 14 heures, les Tchèques n'avaient pas accepté les revendications allemandes, les troupes du Reich pénétreraient sur le territoire des Sudètes à la date précise du octobre. Cependant, dans un discours qu'il prononça trois heures plus tard, et dans lequel il s'exprima en termes violents et grossiers à l'égard de Benès et de la Tchécoslovaquie, Hitler parla en termes modérés de la France et de la Grande-Bretagne, déclarant : Ceci est la dernière réclamation territoriale que j'aie à faire en Europe.

Quoi qu'il en soit, le mercredi 28 septembre, à 14 heures, Benès n'avait toujours pas fait sa soumission à Berlin. Une armée tchèque de plus d'un million d'hommes était en place derrière une ligne puissamment fortifiée, prête à s'opposer à toute agression allemande. L'armée française était partiellement mobilisée et le gouvernement britannique avait donné l'ordre à la Royal Navy de se tenir en état d'alerte.

 

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C'est alors qu'à 15 heures Hitler adressa un message à Chamberlain et à Daladier pour suggérer une nouvelle et immédiate entrevue. Mussolini y assisterait également, mais les représentants des Soviets en seraient exclus, de même que ceux de la Tchécoslovaquie. Pour la troisième fois, le premier ministre britannique s'envola vers l'Allemagne.

 

 

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Benito Mussolini  1883-1945

 


À Munich, M. Chamberlain, au nom du peuple anglais et M. Daladier, au nom du peuple français, se déclarèrent prêts à payer n'importe quel prix pour la paix. La conférence commença dans la soirée du 29 septembre et le 30, à 2 heures du matin, les quatre parties apposaient leurs signatures au bas d'un mémorandum : l'ultimatum de Godesberg était pratiquement accepté. Les troupes allemandes entreraient, le 1er octobre, dans le territoire des Sudètes, dont l'évacuation devrait être terminée pour le 10 octobre. Une commission internationale déciderait, par la suite, du tracé des nouvelles frontières de la Tchécoslovaquie qui perdrait, sans aucun doute, dans l'opération, sa ligne de fortifications occidentale.

 

 

Description des protagonistes par Edouard Daladier

Hitler, le visage pâle et crispé

 

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Vers midi, accompagné dans une voiture découverte, de François-Poncet et du maréchal Goering, vêtu d'un uniforme blanc qui accentuait ses rondeurs, j'arrivai à la Maison du Führer, sur la place royale.
Ayant François-Poncet pour guide, j'entrai dans un salon largement ouvert où je trouvai Neville Chamberlain vêtu de noir suivant sa coutume, impassible, ressemblant un peu à un vieil homme de loi anglais.

 

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Bientôt, escorté de Ciano, grand, vigoureux et d'un cortège d'officiers et de diplomates italiens en grand apparat, couvert de galons et de décorations, apparut Mussolini.
Il était sanglé dans un bel uniforme qui me parut un peu étroit pour lui. Il pénétra d'un pas vif dans le salon, le torse bombé, ses yeux noirs très mobiles, comme passant en revue, mais rapidement détendu et souriant.
Maintenant, derrière tous ces hommes chamarrés, seul, venait Hitler, le visage pâle et crispé. Je voyais sa chevelure brune, une mèche épaisse lui tombant sur le front. Le regard était étrange et dur de ces yeux d'un bleu sombre qui se révulsèrent brusquement lors des brèves salutations.
Il était vêtu très simplement comme un homme du peuple d'une veste kaki, portant sur la manche droite l'écusson à croix gammée, son long pantalon noir tombait sur des chaussures noires assez usagées. Tel m'apparaissait l'homme qui, par la ruse, la violence et la force, était devenu dictateur suprême de l'Allemagne.
J'avais dit et répété à Londres que son but était d'établir sa domination sur l'Europe. En le voyant, je pensai ne pas m'être trompé.

 

 

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Vers midi trente, le premier entretien eut lieu dans un salon rectangulaire. Hitler prit place sur un fauteuil, dans la partie gauche à partir de l'entrée. A sa droite étaient son interprète, puis Neville Chamberlain, enfin sir Horace Wilson. Au centre du salon, sur un canapé, étaient assis Mussolini et Ciano. Moi-même je me trouvais sur la partie droite, dans un fauteuil, face à Hitler.
Hitler se leva et prononça contre les Tchèques un violent réquisitoire. C'était une véritable explosion. Étendant les bras ou serrant les poings, il accusait les Tchèques d'avoir exercé contre les Allemands une affreuse tyrannie, de les avoir torturés, d'en avoir chassé des milliers de leur pays, comme des troupeaux affolés.
J'avais compris le sens de son discours, mais sa traduction ne laissait aucun doute sur la violence de son réquisitoire. Je me levais donc pour demander s'il fallait comprendre qu'Hitler proposait de détruire la Tchécoslovaquie, comme Etat, et de l'annexer au Reich. S'il en était ainsi, je n'avais qu'à regagner la France. Daladier défend les Tchèques, écrivit plus tard Ciano, dans son journal.

 

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Mussolini s'agita sur son canapé.
Non, non, s'écriait-il, c'est un malentendu.
Et, tandis qu'il parlait, Hitler ne le quittait pas des yeux.
Ayant entendu la traduction de ces deux interventions, Hitler reprit la parole, d'un ton plus calme.
Non, je ne veux pas de Tchèques, monsieur Daladier, je ne veux que mes frères allemands. Quand vous me donneriez les Tchèques, je n'en voudrais pas.
Et il continua sur ce ton, affirmant que sa politique ne consistait qu'à rassembler tous les Allemands dans leur patrie commune.

Alors Mussolini sortit de la poche extérieure de sa vareuse une feuille de papier. C'était, disait-il un bref projet de compromis dont il donna lecture.
Bien que l'ayant compris, je demandai que l'on nous en remit le texte, afin que nous puissions l'étudier. Il en fut ainsi décidé, et la Conférence fut suspendue jusqu'à 5 h 45. Il était alors quinze heures.

 

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Le débat reprit pour ne se terminer qu'à 2 heures du matin. La discussion fut assez confuse et parfois désordonnée, Hitler restant presque tout le temps silencieux et tel que je l'avais vu le matin à son arrivée, figé et blême.
Je fus parfois soutenu par Mussolini, fier du rôle de médiateur entre trois grandes puissances qu'il s'était assigné. Un peu avant la fin, au moment des signatures, il me dit, en souriant : Vous allez être acclamé à votre retour en France.
Je lui dis que, certes, les Français, seraient joyeux d'apprendre que la paix était sauvée, mais qu'ils auraient conscience des sacrifices qui lui avaient été consentis. Vous verrez, vous verrez.

 

Une voix dans le désert

Après Munich, Churchill ne se laissa pas abuser

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Winston Leonard Spencer-Churchill 1874-1965

 

Au cours des années 30, Winston Churchill n'occupait aucun poste au gouvernement. Beaucoup pensaient qu'il avait entièrement vidé son carquois et qu'il n'était plus rien que l'enfant terrible de la politique anglaise. Bien peu avaient compris la signification des mises en garde en face de la montée d’Hitler et du national-socialisme. Plus Hitler accumulait les succès et moins la voix de Churchill trouvait audience. Même après Munich, lorsque les Anglais se réjouissaient, Churchill ne se laissa pas abuser. Au cours d'une allocution à la Chambre des communes, il proclama : Je ne reproche pas à notre loyal et généreux peuple qui était prêt à faire son devoir à quelque prix que ce fût, qui n'a jamais fléchi sous la tension de ces derniers jours  je ne lui reproche pas cette explosion de joie spontanée, et toute naturelle, ce cri de soulagement qu'il a poussé en apprenant que l'épreuve si redoutée ne lui serait pas imposée pour l'instant ; mais le peuple anglais doit savoir la vérité. Il doit savoir qu'il y a eu des négligences grossières et de grandes faiblesses dans l'organisation de notre défense ; il doit savoir que nous venons d'essuyer une défaite sans avoir fait de guerre et que les conséquences de cette défaite nous accompagneront longtemps ; il doit savoir que nous avons couvert une terrible étape de notre histoire, quand l'équilibre de l'Europe a été bouleversé et ne croyez pas que ceci soit la fin. C'est seulement le début de l'expiation. C'est seulement la première gorgée, l'avant-goût de la coupe d'amertume qui nous sera offerte jour après jour, tant que nous n'aurons pas recouvré assez de santé morale et de vigueur martiale pour nous relever et reprendre, comme jadis, notre place à la pointe du combat pour la liberté.

 

La présence des représentants tchèques

Dans la pièce à côté

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Tomáš Garrigue Masaryk 1850-1937

 

 

Chamberlain avait insisté d'abord pour qu'un représentant tchèque fût présent, ou du moins, selon son expression, qu'on pût l'avoir sous la main. Son pays, dit-il, ne pouvait, bien entendu, s'engager à donner la garantie que le territoire des Sudètes serait évacué le 10 octobre (comme l'avait proposé Mussolini) si aucune assurance à ce sujet n'était donnée par le gouvernement tchèque. Daladier le soutint mollement. Le gouvernement français, dit-il, ne tolérerait aucun retard de la part du gouvernement tchèque, mais il pensait que la présence d'un représentant tchèque, qui pourrait être consulté si nécessaire, serait profitable.
Mais Hitler ne voulut rien entendre. Il ne consentait à admettre aucun Tchèque en sa présence. Daladier céda sans difficulté, mais Chamberlain finit par obtenir une petite concession. Il fut convenu qu'un représentant tchèque pourrait se tenir à la disposition des participants dans la pièce à côté, comme le suggérait le Premier Ministre.

 

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En effet, pendant la séance de l'après-midi, deux représentants tchèques, le docteur Vojtech Mastny, le ministre tchèque à Berlin, et le docteur Hubert Masaryk, des Affaires étrangères de Prague, arrivèrent et furent sans vergogne introduits dans une pièce voisine. Après qu'on les eut laissés s'y morfondre de quatorze à dix-neuf heures, le ciel leur tomba, pourrait-on dire, sur la tête. A dix-neuf heures, en effet, Frank Ashton-Gwatkin, qui avait appartenu à la mission Runciman et faisait maintenant partie de la suite de Chamberlain, vint leur apprendre de mauvaises nouvelles. Un accord général était intervenu, dont il ne pouvait pas encore leur donner les détails, mais qui était beaucoup plus dur que les propositions franco-britanniques. Masaryk demanda si les Tchèques ne pouvaient être entendus, mais, comme le rapporta ensuite le représentant tchèque à son gouvernement, l'Anglais lui répondit qu'il semblait ignorer combien la situation des grandes puissances était difficile et qu'il ne pouvait comprendre à quel point les négociations avec Hitler avaient été pénibles.

 

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À dix heures du soir, les malheureux Tchèques furent conduits auprès de Sir Horace Wilson, le fidèle conseiller du Premier Ministre. Wilson leur communiqua, de la part de Chamberlain, les principaux points de l'accord des quatre puissances et, leur remit une carte des zones sudètes qui devraient être immédiatement évacuées par les Tchèques. Quand les deux envoyés tentèrent de protester, le fonctionnaire britannique leur coupa la parole. Il n'avait rien de plus à dire, déclara-t-il, et il sortit rapidement. Les Tchèques continuèrent à protester auprès d'Ashton Gwatkin, qui était resté avec eux. Mais ce fut en vain.
Si vous n'acceptez pas, leur dit-il au moment de sortir, vous serez obligés de régler vos affaires avec les Allemands absolument seuls. Peut-être les Français vous diront-ils cela moins brutalement, mais, vous pouvez m'en croire, ils partagent nos vues. Ils se désintéressent de la question.
C'était la vérité, si désolante qu'elle dut alors paraître aux deux émissaires tchèques. Le 30 septembre, peu après une heure du matin, Hitler, Chamberlain, Mussolini et Daladier, dans l'ordre que je viens d'indiquer, apposèrent leur signature sur l'accord de Munich, stipulant que l'armée allemande entrerait en Tchécoslovaquie le 1er octobre, comme Hitler l'avait toujours dit, et achèverait l'occupation des Sudètes le 10 octobre. Hitler obtenait ce qui lui avait été refusé à Godesberg.
Restait la pénible tâche  pénible du moins pour les victimes  d'informer les Tchèques des sacrifices qu'il leur fallait consentir et du bref délai qui leur était accordé. Cette partie dé la cérémonie ne concernait pas Hitler et Mussolini, qui se retirèrent, laissant ce soin aux représentants des alliés de la Tchécoslovaquie, la France et la Grande-Bretagne. La scène a été décrite de façon extrêmement vivante par Masaryk dans son rapport officiel aux Affaires Étrangères tchèques.

 

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À treize heures trente, nous fûmes introduits dans la salle où s'était tenue la conférence. Étaient présents M. Chamberlain, M. Daladier, Sir Horace Wilson, M. Léger (secrétaire général au ministère des Affaires étrangères), M. Ashton-Gwatkin, le Dr Mastny et moi-même. L'atmosphère était lourde d'angoisse : la sentence allait être rendue.
Les Français, visiblement nerveux, semblaient anxieux de conserver le prestige de leur pays devant le tribunal. Dans un long discours préliminaire, M. Chamberlain fit allusion à l'accord et en remit le texte au docteur Mastny 
Les Tchèques entreprirent de poser quelques questions, mais : M. Chamberlain  ne cessait de bâiller, sans faire le moindre effort pour dissimuler ses bâillements. Je demandai à M M. Daladier et Léger s'ils attendaient de notre gouvernement une déclaration ou une réponse à l'accord. M. Daladier était visiblement nerveux. M. Léger répondit que les quatre hommes d'État ne disposaient que de peu de temps. Il ajouta vivement, et non sans désinvolture, qu'aucune réponse ne nous était d'ailleurs demandée, que les participants considéraient le projet comme accepté, que notre gouvernement devait envoyer son représentant à Berlin le jour même, à quinze heures au plus tard, pour assister à la séance de la commission, enfin que l'officier tchécoslovaque désigné à cet effet devrait être à Berlin samedi pour régler les détails de l'évacuation de la première zone. L'atmosphère, dit-il, commençait à devenir dangereuse pour le monde entier.
Il nous parla sur un ton fort brusque. C'était un Français. M. Chamberlain ne cachait pas sa lassitude. Ils nous remirent une seconde carte légèrement corrigée. Puis ils en finirent avec nous et nous pûmes partir.

 

Un état rayé de la carte

Hitler n'était plus un gentleman

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Donc les délégués tchèques (à qui l'on avait permis de venir à Munich et d'attendre, dans l'antichambre, le résultat des négociations) furent froidement informés de cette décision et Hitler et Chamberlain signèrent ensemble un document qui concrétisait le profond désir de leurs deux peuples de ne jamais se faire mutuellement la guerre. Quant aux divisions allemandes, elles se préparèrent à pénétrer en Tchécoslovaquie aussi profondément que Hitler le jugerait opportun. Puis M. Chamberlain rentra en Angleterre.
Il y fut accueilli par les acclamations d'une foule enthousiaste qui l'attendait à l'aéroport et devant laquelle il brandit l'accord qu'il venait de signer avec Hitler avant de lui en lire le contenu.

 


M. Daladier reçut le même accueil enthousiaste des Français à sa descente d'avion. Mais la légende qui est peut-être vraie veut que le président du conseil ne réagisse pas avec la même euphorie que son homologue anglais et craignit que la foule massée à l'aéroport ne fût pas là pour l'applaudir mais pour le huer. Quand il se fut rendu compte des sentiments qui animaient ses compatriotes, il aurait eu à leur égard une épithète malsonnante.

 

Une vague de soulagement se propagea à travers le pays. Toute cette nuit-là, les pubs furent emplis de bandes joyeuses, de gens heureux, enfin rassurés, qui se sentaient l'esprit délivré d'un énorme souci. Le matin suivant, la presse britannique fit une plus large place au document que Chamberlain avait signé seul avec Hitler qu'à celui qu'il avait paraphé avec Hitler, Daladier et Mussolini, ce qui eut pour effet de prolonger pendant plusieurs jours ce climat d'euphorie.


Mais, peu à peu, les détails des accords sur la Tchécoslovaquie commencèrent à être connus. Le sentiment de l'impasse dans laquelle l'Angleterre venait de s'engager ainsi que la honte de la mauvaise action qui avait été commise firent progressivement leur chemin dans la conscience du peuple anglais. Le démembrement de la démocratie modèle commença sur-le-champ. Le 1er octobre, les troupes allemandes avaient envahi le territoire des Sudètes et, en moins de vingt-quatre heures, les revendications polonaises pour le retour de Teschen à la Pologne avaient été satisfaites. Les Tchèques n'eurent d'autre ressource que d'accepter. Puis, à la fin du mois, Hitler et Mussolini se mirent d'accord sur un nouveau tracé de frontière entre la Tchécoslovaquie et la Hongrie, opération qu'ils annoncèrent au monde comme étant l'a arbitrage de Vienne.

 

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Le Dr Benès donna sa démission de président de l'État tchécoslovaque et alla résider en Angleterre. Malgré cet exil, il pouvait se considérer comme l'un des moins défavorisés parmi ses concitoyens. Durant l'hiver qui suivit  1938/1939 le démembrement de la Tchécoslovaquie s'aggrava : Hitler multipliait les causes de discorde entre les différentes nationalités qui avaient, jusque-là, vécu en bonne intelligence et élargissait le fossé entre Tchèques et Slovaques. Mais d'autres voix que celle de Hitler se faisaient maintenant entendre et les Anglais eurent rapidement mauvaise conscience de ce qu'ils avaient laissé s'accomplir. Les Allemands perdirent leur popularité et la Tchécoslovaquie se vit entourée d'une aura romantique semblable à celle de la courageuse petite Belgique, entre 1914 et 1918. De nombreux Britanniques se rendirent compte, avec amertume, que les forces à opposer éventuellement à l'Axe venaient d'être amputées d'un million de soldats bien entraînés et qu'elles perdaient l'avantage d'un système de fortifications efficace. De plus, les usines Skoda allaient maintenant produire des chars pour les dictateurs.

 

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Le 14 mars 1939, encouragée par Hitler, la province de Slovaquie se déclara indépendante et se sépara de la Tchécoslovaquie. Le même jour, les troupes allemandes, parties de leurs bases en territoire sudète, pénétraient dans Prague, mettant ainsi la main sur la Bohême et la Moravie. Le jour suivant, avec un cynisme qui dut choquer même ceux qui avaient coopéré avec lui, Hitler acceptait le protectorat de Slovaquie, une Slovaquie dont l'indépendance n'avait finalement duré que vingt-quatre heures ! C'est ainsi qu'un État moderne fut rayé de la carte du monde pour plusieurs années.
Le 17 mars, ses yeux s'étant enfin dessillés, M. Chamberlain accusa ouvertement Hitler d'avoir manqué à sa parole. Hitler n'était plus un gentleman ; il est même probable qu'il n'en a jamais été un.



22/07/2016
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